Si vous allez du côté d’Émosson, en Valais, ne la cherchez pas des yeux. La centrale hydroélectrique de Nant de Drance, en fonction depuis le 1er juillet 2022 et inaugurée le 9 septembre, reste invisible : elle est enfouie dans une caverne, 600 mètres sous terre. Sur les hauteurs de Finhaut on ne voit que deux barrages et les deux lacs qu’ils retiennent. C’est précisément pour exploiter le potentiel hydraulique de ces deux bassins d’accumulation que les nouvelles installations de pompage-turbinage ont été construites. Cette technologie est aujourd’hui le moyen le plus flexible et le plus rentable de stocker de l’énergie électrique et de maintenir l’équilibre du réseau entre production et consommation.
Cela fait un siècle déjà que les électriciens s’efforcent de toujours mieux exploiter l’immense potentiel hydraulique de l’espace alpin situé entre Bas-Valais et Haute-Savoie. Un premier barrage, Barberine, fut construit dans les années 1920. Puis un second, le Vieux-Émosson, trente ans plus tard. Et après deux autres décennies, Émosson, le plus volumineux d’entre eux, submergeant celui de Barberine (voir le détail de cet historique en fond de page).
C’est à peu près au même moment que fut lancée l’idée d’installer entre ces deux réservoirs une station de pompage-turbinage qui tirerait profit de leur différence d’altitude. Mais ce n’est qu’au début des années 2000 que cet ambitieux projet commença à prendre forme. Il fallait préalablement que les propriétaires des installations existantes (les Chemins de fer fédéraux, au barrage du Vieux-Émosson, et Electricité d’Émosson SA, au barrage d’Emosson) et les promoteurs du projet de pompage-turbinage (la société Nant de Drance SA) [1] se mettent d’accord sur les conditions d’une exploitation commune de l’ensemble des aménagements hydroélectriques.
Les travaux, entamés en 2008, auront duré 14 ans. Ceux de la centrale souterraine qui a nécessité l’excavation de 1,7 million de m3 de roche ont mobilisé jusqu’à 650 ouvriers au plus fort du chantier. Il fallait également reconfigurer et rehausser le barrage du Vieux-Émosson pour accroître sa capacité de retenue. Une soixantaine d’entreprises ont participé à la réalisation des différents ouvrages dont le coût final tourne autour des 2 milliards de francs suisses (voir les principales données techniques dans les infos complémentaires de fond de page).
Le pompage-turbinage,
une technologie de pointe
Flexibilité. C’est le mot-clé des aménagements hydroélectriques qui, à l’instar de Nant de Drance, font appel au pompage-turbinage pour garantir le nécessaire équilibre entre la production et la consommation d’électricité. La demande en courant électrique - faut-il le rappeler ? - ne cesse de varier au fil des besoins de la journée et de la nuit, des jours de semaine et du week-end, et bien sûr des saisons. Contrairement aux centrales nucléaires qui produisent un courant électrique de base à flux stable et constant, les aménagements hydrauliques ont la capacité d’adapter de façon quasi instantanée leur production aux fluctuations de la demande.
La technologie du pompage-turbinage va encore plus loin puisqu’elle permet, lorsque la consommation est faible, de stocker (par pompage) les excédents de courant électrique sous forme d’énergie "potentielle" et de la restituer (par turbinage) lorsque la demande est plus forte que la production. Autrement dit : ce type de centrale ne sert pas à produire davantage d’électricité mais, telle une super-batterie, à augmenter la puissance disponible et ainsi garantir la stabilité du réseau.
Concrètement, il faut pour cela disposer de deux bassins d’accumulation situés à des altitudes différentes. Lorsque la production d’électricité dépasse la demande, le surplus de courant est utilisé par la centrale pour pomper de l’eau du lac inférieur (Émosson) vers le lac supérieur (Vieux-Émosson) et dans le cas inverse, lorsque la production n’est plus en mesure de couvrir les besoins, la centrale turbine l’eau stockée dans le réservoir d’en haut et la déverse ensuite dans celui d’en bas. Et ainsi de suite.
À Nant de Drance, la vitesse des six machines installées dans la centrale souterraine peut être modulée en mode pompe aussi bien qu’en mode turbine, ce qui permet de garantir un rendement aussi optimal que possible des installations. On notera cependant qu’un tel cycle de pompage-turbinage a besoin de courant électrique et que son fonctionnement entraîne tout de même des pertes d’énergie assez conséquentes (le pompage consomme environ 20 à 30 % de l’énergie produite avec la même quantité d’eau turbinée). [2]
Compensations écologiques
Un aussi gigantesque aménagement, sans oublier la pose d’une ligne à très haute tension pour relier la centrale au réseau électrique, a forcément bon nombre d’impacts sur la nature. En collaboration avec des organisations environnementales et des collectivités publiques, la société Nant de Drance s’est engagée, pour un coût de quelque 22 millions de francs, à financer une quinzaine de projets de compensation écologique.
Il est question entre autres de remettre en état des terrains qui ont été utilisés pour l’entreposage des matériaux d’excavation des galeries et des cavernes, de créer localement des zones humides et des milieux favorables à la biodiversité, de favoriser leur recolonisation par certaines espèces animales et végétales rares ou menacées de disparition, de rouvrir des pâturages après des travaux de débroussaillage, voire d’éradiquer certaines plantes invasives. Dans la vallée du Rhône, il est aussi prévu par exemple de redonner de l’espace au fleuve dans le cadre du projet de 3e correction, d’aménager une zone alluviale, de réhabiliter un lac de gravière ou encore de revitaliser certains canaux d’irrigation. (bw)
Pour en savoir plus
– Voir le site officiel nant-de-drance.ch qui propose de nombreuses informations, images et vidéos sur ce nouveau complexe hydroélectrique, le rehaussement du barrage, la construction de la centrale souterraine, son fonctionnement, etc.