Personne ne le conteste : les Alpes sont le château d’eau de l’Europe. Cette chaîne de montagnes partagée par sept pays (Allemagne, Autriche, France, Italie, Liechtenstein, Slovénie et Suisse) est extrêmement riche en ressources hydriques : les fleuves et les rivières qui y prennent leur source alimentent en eau quelque 170 millions de personnes.
On sait aussi que les changements climatiques déjà visibles auront un impact majeur sur l’hydrologie des pays alpins : moins de neige mais plus de pluies hivernales, périodes de sécheresse estivales plus marquées, cette modification des régimes de précipitations aura des effets très nets sur les débits des cours d’eau même si, à court terme, ces changements seront compensés par la fonte des glaciers.
La Commission Internationale pour la Protection des Alpes (CIPRA), qui s’inquiète de cette réduction annoncée de la disponibilité de l’eau, consacre précisément son dernier dossier à "La gestion de l’eau face au changement climatique" et dresse une sorte d’inventaire des problèmes, des mesures à prendre, des instruments politiques adéquats et des exemples de bonne pratique. Avec un premier diagnostic : "les situations de stress hydrique alpin ne sont pas le résultat de la rareté des ressources mais plutôt de l’augmentation de la concurrence de la demande en eau entre divers secteurs".
"Arrêtons la folie hydroélectrique"
Parmi les revendications avancées par le rapport de la CIPRA, la gestion de l’eau pour la production hydroélectrique arrive très nettement en première place. Non sans raison, puisque c’est ce secteur qui affiche la majeure partie (75%) des prélèvements hydriques des régions alpines. Il fait également l’objet aujourd’hui d’un véritable boom des demandes d’aménagement de nouvelles installations de production et c’est lui aussi qui a le plus fort impact sur la morphologie des rivières.
"Plusieurs pays des Alpes prévoient de privilégier l’hydroélectricité au lieu de l’efficacité énergétique et les économies d’énergie. Le retrait progressif de l’énergie nucléaire est actuellement un argument de choix pour autoriser l’aménagement des dernières rivières et ruisseaux quasi-naturels. Plutôt que de développer cette capacité ’finale’ (utilisation maximale du potentiel hydroélectrique des cours d’eau) aux dépens de l’environnement naturel, la CIPRA appelle à la modernisation des centrales hydroélectriques existantes en l’associant à des mesures de compensation écologiques. Cette orientation permettrait d’obtenir une hausse de 50 % de l’efficacité énergétique à court terme (...)
(...) Il est nécessaire d’étudier minutieusement chaque projet de réhabilitation d’installations existantes afin de garantir leur compatibilité environnementale ; là où les effets négatifs sur l’environnement seront inévitables, ils devront être compensés" (pages 4-5).
Les petites centrales électriques sont elles aussi dans le collimateur de la CIPRA pour qui "tout ce qui est petit n’est pas toujours joli" : souvent, pour des gains énergétiques mineurs, ces petites unités de production peuvent provoquer des dégâts environnementaux de grande ampleur. Les soutiens financiers dont elles bénéficient devraient être explicitement fondés sur des considérations de durabilité et de compatibilité écologique.
"Une stratégie pour l’ensemble de la région alpine"
Outre qu’il faudrait mettre davantage l’accent sur la lutte contre le gaspillage et les usages abusifs de l’eau, et que la gestion des ressources hydriques devrait être plus professionnelle et s’exercer au niveau des bassins versants (comme le réclame la directive cadre européenne sur l’eau), la CIPRA réclame également des pays membres de la Convention alpine qu’ils s’accordent sur une stratégie pan-alpine commune pour une gestion durable de l’eau et des habitats qui en dépendent :
"Cette stratégie devrait inclure l’amélioration de l’efficacité des centrales hydroélectriques existantes, ainsi que des provisions garantissant la compatibilité environnementale des autorisations de rénovation. Celle-ci devrait également fournir des alternatives à la construction de grands réservoirs et établir des restrictions à la construction désordonnée des microcentrales" (page 6).
Une telle stratégie présuppose un inventaire des systèmes hydrologiques alpins dont le fonctionnement écologique est jugé équilibré ou aisément régénérable. Dans lequel cas ils devraient alors être considérés comme des "zones tabous" pour tout usage ou installation non durable telle qu’une centrale hydroélectrique, et pour l’exploitation intensive des paysages de rivières. (Source : CIPRA)
– Ce rapport de synthèse (36 pages) sur "La gestion de l’eau face au changement climatique" est disponible sur le site de la CIPRA