Pour KManu Berguer, ce questionnement sur le bon usage de l’eau est plutôt récent. C’est quand il décida, il y a quelques années, de déménager de la ville à la campagne, et de porter davantage son regard sur les relations de l’homme avec la nature dont il s’était personnellement rapproché, qu’il fut amené à s’interroger sur les problématiques de l’eau.
L’exposition « Phréatique » s’inscrivait donc pour l’artiste vaudois dans la lignée des installations qu’il conçoit pour parler « de la manière dont l’homme appréhende son environnement naturel pour le façonner à sa guise ». Ce qu’il fait avec une bonne dose d’humour ou d’ironie, se voulant tour à tour ou tout à la fois « grave, drôle, provocateur ».
KManu Berguer fait volontiers dans le jeu de mots visuel. Avec Suez, la multinationale française très active dans les services de gestion de l’eau. L’effet de miroir, dans le reflet d’une nappe d’eau, fait apparaître le nom inversé de Zeus ! Nouveau dieu et maître universel d’une ressource naturelle qui rapporte gros ?
Ou avec les trois lettres EAU qui forment aussi les initiales des Emirats Arabes Unis, porte du désert et symbole universel de la richesse pétrolière. Idem, au second degré, avec la pêche miraculeuse qui ramène dans ses filets ces coquilles Saint-Jacques dont une société pétrolière a fait son sigle passe-partout. Détournement de sigle également dans le panneau de zone phréatique.
L’eau a un prix. Qui, respectivement libellé en dollars, euros ou livres sterling, s’affiche $€£. Le message, inscrit sur trois jerrycans, est immédiatement décodable. L’eau est en train de devenir marchandise et monnaie liquide. Inodore, comme l’argent ?
« Pour la réalisation de mes oeuvres, commente KManu Berguer sur son site, j’utilise des objets anodins de la vie de tous les jours ou alors je me base sur des concepts universels tels que mythologie ou citations proverbiales, autant d’archétypes que je détourne et façonne pour exprimer un thème particulier. L’usage de stéréotypes est intéressant pour moi car, sortis de leur contexte, ils interpellent du fait qu’ils sont familiers mais pas à leur place. »
Même si le message engagé n’est apparemment pas son but – c’est le regard qui prime et non le signal d’alarme - KManu Berguer ne peut empêcher le visiteur de faire une lecture politique de l’exposition. La référence phréatique qui la sous-tend ne peut qu’alimenter l’envie d’agir. Qu’il s’agisse d’accès à l’eau potable, de business de l’eau, de pollution ou de désertification, et au bout du compte de vie ou de mort pour des centaines de millions d’êtres humains, et pour la nature prise comme un tout, les questions indirectement posées attendent réponses. Individuelles et collectives. (bw)