Les tribunaux d’irrigants du bassin méditerranéen espagnol sont des juridictions traditionnelles de gestion de l’eau qui remontent à l’époque d’Al-Andalus (IX-XIIIe siècles), lorsque la péninsule ibérique se trouvait sous domination musulmane, et qui furent ensuite reconduites et garanties par les rois chrétiens. Les deux instances les plus représentatives de cette pratique quasi millénaire, sont le Conseil des bons hommes de la plaine de Murcie et le Tribunal des eaux de la plaine de Valence.
Leurs membres sont des agriculteurs choisis de façon autonome et démocratique par les utilisateurs des canaux d’irrigation. Le Conseil des bons hommes de Murcie, composé de sept membres géographiquement représentatifs, a juridiction sur une assemblée de propriétaires terriens de 23’313 membres. Le Tribunal des eaux de Valence compte huit syndics élus, représentant neuf communautés de 11’691 membres au total.
Tous les jeudis
Les conflits entre irrigants sont réglés en audiences publiques, tous les jeudis, de manière orale, rapide, économique et impartiale. Les sentences, rendues sans délai, sont généralement respectées car ces deux jouissent d’une grande autorité morale : les procédures y sont transparentes et équitables, et les juges-agriculteurs sont reconnus par leurs pairs comme des personnes honnêtes et bien informées des us et coutumes de l’agriculture d’irrigation traditionnelle et du milieu naturel dont elle dépend.
Même s’il existe en Espagne d’autres communautés traditionnelles d’irrigants, le Conseil des Bons Hommes de la Plaine de Murcie et le Tribunal des Eaux de la Plaine de Valence sont les seuls tribunaux coutumiers et traditionnels reconnus par l’ordre juridique espagnol. Cela leur confère un statut spécial en vertu duquel leurs sentences ne peuvent pas faire l’objet d’appel devant les tribunaux ordinaires. Ces tribunaux ont sans aucun doute contribué efficacement à l’entretien des grands systèmes complexes d’irrigation de Murcie et de Valence, construits par des communautés agricoles régies par des principes de coopération, d’entraide mutuelle, d’accès partagé, de bon gouvernement et d’utilisation durable d’un bien commun rare. C’est ce qui explique à la fois qu’ils aient survécu aux aléas de l’histoire et se soient intégrés dans le système judiciaire espagnol, avec les mêmes garanties et la même valeur juridique que toute autre cour civile.
Symboles identitaires
Au-delà de leur rôle juridique, les tribunaux d’irrigants jouent un rôle-clé dans la vie de ces communautés dont ils sont le symbole visible, à preuve les rites lors de l’énoncé des jugements et leur présence fréquente dans l’iconographie locale. Ils assurent la cohésion des communautés traditionnelles, veillent à la complémentarité des métiers (gardiens, inspecteurs, émondeurs…), et contribuent à la transmission orale des savoir-faire d’irrigation à travers notamment un lexique spécialisé riche en arabismes. Ils sont ainsi les dépositaires d’une identité locale et régionale de longue durée. (Source : UNESCO)
– Pour en savoir plus, voir la page réservée à ces institutions sur le site du Patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO (présentation, dossier de candidature, vidéo).