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11 octobre 2009.

Les réformes du secteur de l’eau en Inde

PHILIPPE CULLET – De la nécessité de lois-cadres pour la gestion (...)

PHILIPPE CULLET – De la nécessité de lois-cadres pour la gestion de l’eau qui prennent en compte les paramètres humains, sociaux et environnementaux, et pas seulement les critères économiques.

Lorsqu’il entame en 2004 ses recherches sur le secteur de l’eau en Inde, Philippe Cullet a pour objectif non seulement d’examiner en détail les données de la législation indienne en matière d’utilisation des ressources en eau, mais aussi de mieux comprendre les réformes en cours, d’en faire une analyse critique et de tenter d’évaluer leurs possibles conséquences économiques, environnementales et sociales.

Le projet ne manque pas d’ambition si l’on songe que l’Inde compte aujourd’hui plus d’un milliard d’habitants, que son système hydrographique est fort contrasté avec des niveaux de disponibilité en eau extrêmement variables d’une région à une autre, et que, de par la structure fédérale du pays, la gestion des ressources en eau est principalement du ressort des États et non du pouvoir central.

Une législation sous-développée

Le cadre légal du secteur de l’eau y est relativement complexe. Durant la période coloniale, on s’était surtout préoccupé de réglementer les pratiques d’irrigation. Mais par la suite de nombreuses questions ont surgi, qu’il s’agisse notamment des liens entre le droit à l’eau et le droit à la terre, de l’exploitation des eaux souterraines, ou des impacts des divers usages de l’eau sur l’environnement. L’Inde ne dispose par exemple à ce jour d’aucune législation en matière d’eau potable alors même que c’est un souci partagé tant par le gouvernement fédéral que par les États. En fait, constate Philippe Cullet, la législation indienne actuelle dans le domaine de l’eau est manifestement sous-développée : il lui manque un cadre général de référence qui permettrait de répondre à la diversité et à la complexité des défis, besoins et usages de l’eau.

On notera au passage que, contrairement à d’autres domaines tels que les droits humains, la protection de l’environnement, la santé, etc. qui ont fait l’objet de nombreux traités et conventions, le domaine de l’eau n’a guère suscité d’instruments législatifs contraignants sur le plan international. Le seul traité digne de ce nom est la Convention de 1997 relative aux cours d’eaux internationaux, mais elle n’est toujours pas entrée en vigueur et de toute façon elle n’est pas d’une très grande utilité quand il s’agit de légiférer sur l’ensemble des usages de l’eau.

Par contre, les politiques nationales dans le domaine de l’eau semblent aujourd’hui visiblement et largement influencées par un consensus officieux et une série de dispositifs élaborés hors du cadre onusien : on pense ici plus particulièrement à la Déclaration de Dublin de 1992 selon laquelle l’eau devrait être reconnue comme bien économique, et aux différents Forums mondiaux de l’eau qui offrent tous les trois ans une plate-forme de débats aux acteurs nationaux et internationaux de ce secteur.

Pas de vrai débat public

On ne peut pas dire, reconnaît Philippe Cullet, qu’il y ait un grand débat de fond en Inde sur les réformes légales à mener dans le secteur de l’eau. Cela est certainement regrettable, d’autant que les décisions qui seront prises risquent d’avoir une portée à long terme. En fait, on assiste en Inde à la mise en place d’une nouvelle stratégie. Plutôt que de suivre le modèle de privatisation des services de l’eau tel qu’il a été appliqué en Amérique latine avec les échecs que l’on sait, l’Inde est en train d’adopter les schémas préconisés par la Banque mondiale et par les banques de développement, schémas qui mettent avant tout l’accent sur les valeurs et critères économiques de l’eau. Du coup, les États peuvent voir leurs aides financières liées à l’adoption des critères passe-partout des bailleurs de fonds et certains d’entre eux n’ont guère hésité à légiférer sans vraiment prendre en considération leurs propres particularités sociales ou environnementales.

La principale critique que fait Philippe Cullet aux réformes en cours porte sur le fait que leur cadre légal n’est donc pas suffisamment universel et qu’il se révèle par conséquent incapable de prendre en compte la multiplicité des usages de l’eau et de ses fonctions sociales et environnementales, et encore moins la réalisation d’un droit humain fondamental, celui d’avoir accès à l’eau indispensable à sa vie.

Tout compte fait, on ne peut se passer d’une loi-cadre dans laquelle l’eau serait considérée comme le moteur des stratégies de développement. L’eau est un élément essentiel à toute vie et à la réalisation d’autres droits humains à commencer par le droit à la santé, essentiel à nombre d’activités humaines comme la production alimentaire et la production d’énergie, essentiel aussi à la persistance des écosystèmes. C’est par ce biais-là seulement que l’on pourra espérer lutter efficacement contre la pauvreté et pour un développement durable digne de ce nom. (bw)


 Pour en savoir plus sur cet ouvrage (en anglais)




Infos complémentaires

:: Repères

 “Water law, poverty and development – Water sector reforms in India” (Droit à l’eau, pauvreté et développement – Les réformes du secteur de l’eau en Inde) est le résultat de quatre années de travaux menées dans le cadre d’un programme spécifique du Fonds national suisse de la recherche scientifique portant sur les questions juridiques liées à la réforme du secteur de l’eau : droits humains, environnement, agriculture et aspects socio-économiques (Publié par Oxford University Press, 2009)

 L’auteur de cette monographie, Philippe Cullet, juriste d’origine genevoise, enseigne à l’Université de Londres (School of Oriental and African Studies) dans le domaine du droit de l’environnement, des ressources naturelles et de la propriété intellectuelle. Il dirige le programme pour l’Europe de l’IELRC.

 Le Centre de recherche en droit international de l’environnement (IELRC) a été créé en 1995 et est basé à Genève. Il a pour objectif la promotion du développement durable et de la justice sociale par le biais d’études et de projets de recherche, d’enseignement et de conseils juridiques. Constitué en association, l’IELRC mène des travaux interdisciplinaires sur les thématiques du droit, de l’environnement et des besoins humains. Site web : www.ielrc.org

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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