Le chevaine, poisson blanc d’une petite cinquantaine de centimètres, figure parmi les espèces de poissons les plus fréquentes dans les eaux suisses mais il est pratiquement inconnu du grand public. Peut-être faut-il en chercher la raison dans le fait que sa chair contient beaucoup d’arêtes et qu’il ne se prête guère aux préparations culinaires.
Pour les scientifiques, cette espèce est au contraire digne d’intérêt. Comme il n’y a eu jusqu’à présent que fort peu de lâchers de chevaines dans les cours d’eau, la structure génétique de sa population n’a pas été altérée, contrairement par exemple à celle de la truite.
Mais si des chercheurs de l’Institut suisse de recherches sur l’eau (Eawag) l’ont choisi comme témoin de leur étude, c’est aussi parce que le chevaine a un comportement migratoire assez particulier en période de frai et parce que c’est aussi la seule espèce à utiliser les diverses passes à poissons de l’Aar, de la Limmat, de la Reuss et du Rhin, quel que soit leur degré de technicité parfois très élevé.
En 2009, un rapport de l’Office fédéral de l‘environnement (OFEV) avait révélé qu’en Suisse plus de 10’000 kilomètres de cours d’eau, encombrés par quelque 50’000 obstacles artificiels, devraient être revitalisés. La partie du bassin du Rhin étudiée par l’équipe d’Alexandre Gouskov, doctorant à l’Eawag, comptait en plus des chutes du Rhin 37 centrales hydroélectriques et deux barrages, six de ces obstacles artificiels n’étant pas encore équipés d’aide à la remontée des poissons.
On savait déjà, à partir de précédentes études, que des obstacles infranchissables nuisent fortement à la structure génétique des populations de poissons et que, dans le pire des cas, la séparation des individus peut même entraîner la disparition d’une population toute entière.
Avec les recherches de l’Eawag et sur la base d’analyses génétiques de poissons prélevés dans pas moins de 47 sites différents (soit une cinquantaine d’individus par site), il a pu être certifié que les passes améliorent incontestablement la connectivité et le brassage des populations de poissons isolées et qu’elles ont effectivement un impact positif sur leur diversité génétique.
De ce point de vue, disent les chercheurs, une barrière artificielle sans passe à poissons équivaut à une distance approximative de 100 kilomètres dans un fleuve non aménagé. Dans le cas contraire, elle correspond à une douzaine de kilomètres.
"Nos résultats, explique Alexandre Gouskov, montrent qu’il est tout à fait judicieux de poursuivre les mesures de revitalisation engagées ces dernières années, qu’il faut davantage d’aides à la remontée des poissons, mais aussi de meilleure qualité, afin de mieux protéger les espèces". À ce propos, on souligne à l’Eawag que les chenaux de contournement sont souvent plus efficaces que les classiques escaliers en béton et qu’il existe donc en la matière "un énorme potentiel d’amélioration". (Source : Eawag)
– L’article original de Alexandre Gouskov & all., "Fish population genetic structure shaped by hydroelectric power plants in the upper Rhine catchment", publié par la revue scientifique "Evolutionary Applications", est disponible sur Wiley Online Library
– Site web de l’Eawag