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2 novembre 2004.

Les Uruguayens ont voté contre la privatisation de l’eau

Le 31 octobre, les Uruguayens ne se sont pas seulement choisi un (...)

Le 31 octobre, les Uruguayens ne se sont pas seulement choisi un nouveau président. Ils ont aussi décidé par référendum, avec une majorité proche des deux tiers des voix, d’inscrire dans la Constitution que l’eau appartient au domaine public et qu’elle ne peut donc être privatisée.

La réforme établit également comme principes fondamentaux que les services d’eau potable et d’assainissement sont une prestation exclusive et directe de l’État et qu’il est nécessaire de promouvoir une politique de l’eau solidaire, de participation des citoyens et décentralisée. Les bassins hydrographiques devraient être considérés comme des unités de base.

Jusqu’à présent, à notre connaissance, seule l’Afrique du Sud avait inscrit dans sa Constitution que l’accès à la nourriture et à l’eau est un droit fondamental [ « Everyone has the right to have access to ­(…) sufficient food and water (…) », art.27,1b ].

Précédent historique

Mais, comme le note l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano, « c’est la première fois dans l’histoire du monde qu’un vote populaire s’oppose à la privatisation de l’eau et confirme que l’eau est un droit de tous. » « C’est un précédent historique dans la défense de l’eau » font également savoir la bonne centaine d’associations civiles qui de par le monde soutenaient les promoteurs de cette réforme regroupés dans une Commission nationale de défense de l’eau et de la vie.

« Ce référendum n’est pas anodin », écrit Frédéric Dubois sur le site du Centre des Médias Alternatifs du Québec, « [il] entraînera probablement des temps houleux pour les multinationales qui se bousculent au portillon de la gestion de l’eau potable, des eaux usées et souterraines. Dans le secteur de l’eau, cela signifie une probable expropriation (avec compensation) des entreprises privées déjà actives sur le terrain et la réaffirmation juridique de la propriété publique sur la ressource. »

Ras-le-bol national

Pour comprendre ce refus de la privatisation de l’eau, il faut savoir qu’il existe un vaste mécontentement populaire à l’encontre des entreprises concessionnaires qui se voient reprocher des tarifs sept ou dix fois plus élevés qu’auparavant et des services pas toujours satisfaisants. Exemple : en pleine saison touristique 2002, les services sanitaires de l’État, suite à la découverte de bacilles fécaux, avaient recommandé de faire bouillir l’eau fournie par Uragua.

À noter aussi que la notion de service public est très ancrée en Uruguay : en 2002, les Uruguayens avaient déjà rejeté une privatisation même partielle de la compagnie de téléphones Antel, puis, en 2003, refusé lors d’un autre référendum une association même minime de la compagnie de raffinage et de distribution de carburants Ancap avec des capitaux étrangers.

Flou juridique ?

Le nouveau parlement devra s’atteler à la rédaction d’une loi d’application. Car le texte de la Constitution laisse la porte ouverte à diverses interprétations quant à la possible abrogation des concessions accordées, en 1992, à Uragua et Aguas de la Costa, filiales de sociétés espagnoles (Bilbao et Barcelone).

Aux opposants qui affirmaient que cette réforme servirait par exemple à exproprier les retenues d’eau pour l’élevage du bétail ou à interdire l’exportation de l’eau en bouteilles (contrôlée par géants Nestlé et Danone), l’un des rédacteurs du projet élaboré par la Commission nationale de défense de l’eau et de la vie a rétorqué que c’était là une manière de semer la confusion puisque le texte constitutionnel fait exception des eaux de pluie et des sources naturelles, dans la mesure où elles ne soient pas surexploitées.

Pour calmer les esprits énervés par ceux qui estimaient que la récupération de ces concessions devrait se faire sans tarder, le nouveau président Tabaré Vazquez avait, pendant la campagne électorale, déclaré que "la réforme n’aura pas de caractère rétroactif et que les concessions seront respectées si les entreprises remplissent leurs engagements".

En cas de retrait des concessions, les sociétés concernées seraient indemnisées, non pour leur manque à gagner, mais seulement pour les investissements non amortis. (bw)

Sources : Agences de presse AFP et IPS, CMAQ




Infos complémentaires

L’ESSENTIEL DU NOUVEL
ARTICLE 47
DE LA CONSTITUTION
DE L’URUGUAY

 l’eau est une ressource naturelle essentielle à la vie, l’accès à l’eau potable et l’accès à l’assainissement constituent des droits humains fondamentaux.
 la politique nationale des eaux et de l’assainissement doit être basée sur la conservation, la protection et la réhabilitation des milieux naturels
 la gestion durable et solidaire des ressources hydriques et du cycle de l’eau relève de l’intérêt général
 les usagers et la société civile participeront à toutes les instances de planification, de gestion et de contrôle des ressources hydriques
 le bassin versant constitue l’unité de base de la gestion de l’eau
 l’approvisionnement en eau potable des populations est la priorité des priorités
 dans les prestations du service d’eau potable et d’assainissement, les considérations sociales doivent l’emporter sur les arguments économiques
 les eaux superficielles et souterraines, à l’exception des eaux pluviales intégrées dans le cycle hydrologique, sont une ressource subordonnée à l’intérêt général et font partie du patrimoine public
 les services publics d’approvisionnement en eau potable et d’assainissement sont exclusivement et directement du ressort de personnes morales étatiques
 l’approvisionnement en eau d’un pays dans le besoin et par solidarité doit avoir l’aval des trois cinquièmes des députés de chacune des chambres du Parlement.

AGUAS DE OCTUBRE
(Eaux d’octobre)

(…) Le référendum sur l’eau représente lui aussi une victoire contre la peur. L’opinion publique uruguayenne avait subi un bombardement d’extorsions, de menaces et de mensonges. En votant contre la privatisation de l’eau, nous allions souffrir la solitude et le châtiment, nous serions condamnés à un avenir fait de puits noirs et de mares puantes.

Dans le référendum comme dans l’élection [présidentielle], c’est le bon sens qui l’a emporté. Les gens ont voté et garanti que l’eau, cette ressource naturelle fragile et limitée, est un droit de tous et non un privilège que quelques-uns peuvent se payer. Les gens ont affirmé aussi qu’ils ne resteront pas les bras croisés, car ils savent que tôt ou tard, dans un monde assoiffé, les ressources en eau seront tout autant sinon davantage convoitées que les réserves de pétrole. Nous autres, pays pauvres mais riches en eau, nous devons apprendre à nous défendre. Plus de cinq siècles se sont écoulés depuis [Christophe] Colomb. Jusques à quand continuerons-nous de troquer de l’or contre de la monnaie de singe ?

Ne vaudrait- pas la peine que d’autres pays soumettent la question de l’eau au vote populaire ? Dans une véritable démocratie, qui doit décider ? La Banque Mondiale ou les citoyens de chaque pays ? Existe-t-il réellement des droits démocratiques ou ne sont-ils que la cerise sur un gâteau empoisonné ?

Il y a quelques années, en 1992, l’Uruguay avait été aussi le seul pays du monde à soumettre à référendum la privatisation des entreprises publiques. 72 pour cent de citoyens avaient voté contre. Ne serait-il pas démocratique de voter partout sur les privatisations vu qu’elles compromettent le destin de plusieurs générations ? (…)

Extrait de l’article de Eduardo Galeano, écrivain et journaliste uruguayen, publié dans l’hebdomadaire Brecha de Montevideo au lendemain du vote. (Traduction libre)

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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