Parler de changements globaux, c’est aller au-delà du constat des modifications du climat et prendre en compte l’ensemble des changements environnementaux induits par les activités humaines : surexploitation des ressources naturelles, diminution de la biodiversité, dégradation des sols, accélération de la déforestation, etc. et les effets de ces mutations sur la vie économique et sociale des populations.
Tous ces impacts s’entremêlent et rendent les problématiques extrêmement complexes et toujours plus malaisées à résoudre. Cela d’autant plus - ce sera d’ailleurs l’un des leitmotivs de ce nouveau rendez-vous quadriennal des acteurs de l’eau en montagne – que les scientifiques insistent sur "la difficulté de récolter sur le terrain des données robustes et fiables comme sur la nécessité de mieux mesurer les usages actuels pour anticiper ces changements globaux".
En quoi, direz-vous, ceux-ci concerneraient-ils les ressources hydriques des pays de montagne davantage que celles d’autres territoires ? La réponse est dans la question : parce que - entre autres raisons - l’eau y est plus abondante (ne dit-on pas que les Alpes sont le château d’eau de l’Europe ?), que les capacités de rétention naturelle y sont plus faibles à cause de la forte pente des terrains, que les phénomènes d’érosion y sont donc aussi plus marqués et aggravent risques et dangers, que l’augmentation des températures y est plus rapide, que la multiplication de certaines activités agricoles, touristiques ou hydroélectriques ne sont pas sans conséquences sur les ressources en eau et sur les milieux aquatiques. Et surtout – autre leitmotiv de ces États généraux - parce que nombre de territoires de plaine sont extrêmement tributaires des grands massifs pour leur approvisionnement en eau, en termes de quantité et de qualité. Il est plus que temps, diront plusieurs intervenants, de "transformer ces vulnérabilités en opportunités".
Impacts climatiques et pressions anthropiques
Les constats posés par les spécialistes du climat n’ont rien de très rassurant. On se doit, dans les Alpes en tout cas, de prendre au sérieux l’élévation de la température qui s’y affiche en moyenne deux fois plus importante que celle du réchauffement terrestre global. Ce qui a, entre autres conséquences, d’entraîner à la fois une baisse significative des hauteurs d’enneigement et une augmentation de l’évaporation puisque la neige a tendance à fondre plus rapidement. On imagine déjà l’impact que cela aura "d’ici moins d’une génération" sur les régimes hydrologiques des cours d’eau de montagne et leurs épisodes de crues et d’étiages.
"Il y a ce qu’on voit, note Martin Guespereau, directeur de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse : le recul des glaciers, la modification des saisons, etc. Et il y a ce qu’on ne voit pas : l’assèchement des sols et ses répercussions sur la production agricole. Le changement climatique, ça appuie où ça fait mal. S’y adapter est une question de bon sens, à faire tout de suite. Et la première des adaptations, c’est la chasse aux gaspillages : peu chère et très accessible.
Il faut en même temps s’interroger sur les effets à plus ou moins long terme de la "pression anthropique", c’est-à-dire des demandes croissantes d’utilisation des ressources en eau pour répondre aux augmentations de population, aux impératifs de l’agriculture intensive, aux contraintes des producteurs d’hydroélectricité, ou encore aux prétentions des stations de ski. Cela suppose toutefois, fait remarquer Emmanuel Reynard, de l’Université de Lausanne, que l’on tienne compte des échelles de mesures : "les pratiques d’enneigement artificiel peuvent avoir d’importantes conséquences au plan local mais relativement faibles sur l’ensemble du bassin versant".
Du constat partagé à l’engagement solidaire
Une chose est de se mettre d’accord sur un état des lieux qui en l’occurrence n’a pas suscité de grands débats à Megève, autre chose – plus complexe et plus difficile aussi – est de proposer des solutions et de se donner les moyens de les appliquer durablement. Les changements annoncés comportant une marge d’incertitude, ce passage de la théorie à la pratique ne va pas de soi : chacun sait que certaines mesures prises dans le passé ont aujourd’hui perdu de leur pertinence. Il convient donc d’éviter à tout prix ce que certains appellent des "mal-adaptations", c’est-à-dire des décisions qui accroissent la vulnérabilité des territoires plutôt que de la réduire, et opter pour des projets "sans regret" qui améliorent les situations quelles que soient les mutations climatiques à venir.
Du local à l’international, ìl existe déjà toute une panoplie de politiques et d’institutions, de services et de moyens techniques et financiers à laquelle les collectivités peuvent ou doivent recourir pour s’engager dans une gestion intégrée des ressources en eau, leur assurer une meilleure protection et se mettre à l’abri des dangers qu’elles peuvent présenter ici et là. On ne prendra pas le risque d’en dresser un inventaire forcément incomplet, mais le public de ces États généraux aura en tout cas eu l’occasion de se familiariser avec quelques-uns des acronymes – SDAGE, EPTB, PGRI et autres GEMAPI (*) – que tout gestionnaire français de l’eau se doit aujourd’hui de connaître.
S’il ne fallait retenir qu’un seul et unique message de ces trois journées mégevanes, c’est l’absolue nécessité d’organiser le partage des ressources en eau sur l’intégralité des bassins versants qui relient massifs alpins et régions de plaines, et de "mettre en mouvement ’l’hydro-solidarité’ entre les populations de montagne et les agglomérations de piémont". Mais il ne faut pas non plus se bercer d’illusions, prévient Jean-Marcel Dorioz, de l’Institut national de recherche agronomique : "gérer les interactions ne va pas de soi, cela demande de pratiquer l’art de la conciliation ; il n’y aura pas d’optimisation, il n’y aura que des arbitrages".
Il n’est pas impossible, conclura un autre participant, que la solution vienne de la somme des projets de terrain déjà réalisés, en cours d’exécution ou encore en projet : ce n’est d’ailleurs pas la moindre des ambitions de ces États généraux que d’offrir à bon nombre d’initiatives locales ou régionales l’occasion de se révéler et d’en susciter d’autres. Rendez-vous est d’ores et déjà pris pour 2018.
Bernard Weissbrodt
– Site web des États généraux de l’eau en montagne
– Voir aussi dans aqueduc.info, à propos du même événement : l’article Eau des montagnards : initiatives et solutions (octobre 2014) et l’éditorial Petit essai de stratégies comparées (octobre 2014)
– États généraux de l’eau en montagne 2010 :
- À Megève, un Colloque remet la montagne au milieu du paysage de l’eau
- Que faire pour que les Alpes continuent de servir de château d’eau à l’Europe ?
(*) SDAGE : schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux ; EPTB : établissement public territorial de bassin ; PGRI : plan de gestion des risques d’inondation ; GEMAPI : gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations.