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octobre 2014.

L’eau des montagnes en quête de solidarités d’aval

Pour la 4e fois en douze ans, du 8 au 10 octobre 2014, la (...)

Pour la 4e fois en douze ans, du 8 au 10 octobre 2014, la station de Megève (Haute-Savoie, France), a hébergé les États généraux de l’eau en montagne, réunissant élus et gestionnaires, techniciens et chercheurs, acteurs économiques et représentants d’associations, venus principalement de France, mais aussi de pays voisins. Objectif annoncé : "affirmer la nécessité de placer l’eau au centre des projets de territoires, dans une perspective d’adaptation aux changements globaux".

Parler de changements globaux, c’est aller au-delà du constat des modifications du climat et prendre en compte l’ensemble des changements environnementaux induits par les activités humaines : surexploitation des ressources naturelles, diminution de la biodiversité, dégradation des sols, accélération de la déforestation, etc. et les effets de ces mutations sur la vie économique et sociale des populations.

Tous ces impacts s’entremêlent et rendent les problématiques extrêmement complexes et toujours plus malaisées à résoudre. Cela d’autant plus - ce sera d’ailleurs l’un des leitmotivs de ce nouveau rendez-vous quadriennal des acteurs de l’eau en montagne – que les scientifiques insistent sur "la difficulté de récolter sur le terrain des données robustes et fiables comme sur la nécessité de mieux mesurer les usages actuels pour anticiper ces changements globaux".

En quoi, direz-vous, ceux-ci concerneraient-ils les ressources hydriques des pays de montagne davantage que celles d’autres territoires ? La réponse est dans la question : parce que - entre autres raisons - l’eau y est plus abondante (ne dit-on pas que les Alpes sont le château d’eau de l’Europe ?), que les capacités de rétention naturelle y sont plus faibles à cause de la forte pente des terrains, que les phénomènes d’érosion y sont donc aussi plus marqués et aggravent risques et dangers, que l’augmentation des températures y est plus rapide, que la multiplication de certaines activités agricoles, touristiques ou hydroélectriques ne sont pas sans conséquences sur les ressources en eau et sur les milieux aquatiques. Et surtout – autre leitmotiv de ces États généraux - parce que nombre de territoires de plaine sont extrêmement tributaires des grands massifs pour leur approvisionnement en eau, en termes de quantité et de qualité. Il est plus que temps, diront plusieurs intervenants, de "transformer ces vulnérabilités en opportunités".

Impacts climatiques et pressions anthropiques

Les constats posés par les spécialistes du climat n’ont rien de très rassurant. On se doit, dans les Alpes en tout cas, de prendre au sérieux l’élévation de la température qui s’y affiche en moyenne deux fois plus importante que celle du réchauffement terrestre global. Ce qui a, entre autres conséquences, d’entraîner à la fois une baisse significative des hauteurs d’enneigement et une augmentation de l’évaporation puisque la neige a tendance à fondre plus rapidement. On imagine déjà l’impact que cela aura "d’ici moins d’une génération" sur les régimes hydrologiques des cours d’eau de montagne et leurs épisodes de crues et d’étiages.


"Il y a ce qu’on voit, note Martin Guespereau, directeur de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse : le recul des glaciers, la modification des saisons, etc. Et il y a ce qu’on ne voit pas : l’assèchement des sols et ses répercussions sur la production agricole. Le changement climatique, ça appuie où ça fait mal. S’y adapter est une question de bon sens, à faire tout de suite. Et la première des adaptations, c’est la chasse aux gaspillages : peu chère et très accessible.

Il faut en même temps s’interroger sur les effets à plus ou moins long terme de la "pression anthropique", c’est-à-dire des demandes croissantes d’utilisation des ressources en eau pour répondre aux augmentations de population, aux impératifs de l’agriculture intensive, aux contraintes des producteurs d’hydroélectricité, ou encore aux prétentions des stations de ski. Cela suppose toutefois, fait remarquer Emmanuel Reynard, de l’Université de Lausanne, que l’on tienne compte des échelles de mesures : "les pratiques d’enneigement artificiel peuvent avoir d’importantes conséquences au plan local mais relativement faibles sur l’ensemble du bassin versant".

Du constat partagé à l’engagement solidaire

Une chose est de se mettre d’accord sur un état des lieux qui en l’occurrence n’a pas suscité de grands débats à Megève, autre chose – plus complexe et plus difficile aussi – est de proposer des solutions et de se donner les moyens de les appliquer durablement. Les changements annoncés comportant une marge d’incertitude, ce passage de la théorie à la pratique ne va pas de soi : chacun sait que certaines mesures prises dans le passé ont aujourd’hui perdu de leur pertinence. Il convient donc d’éviter à tout prix ce que certains appellent des "mal-adaptations", c’est-à-dire des décisions qui accroissent la vulnérabilité des territoires plutôt que de la réduire, et opter pour des projets "sans regret" qui améliorent les situations quelles que soient les mutations climatiques à venir.

Du local à l’international, ìl existe déjà toute une panoplie de politiques et d’institutions, de services et de moyens techniques et financiers à laquelle les collectivités peuvent ou doivent recourir pour s’engager dans une gestion intégrée des ressources en eau, leur assurer une meilleure protection et se mettre à l’abri des dangers qu’elles peuvent présenter ici et là. On ne prendra pas le risque d’en dresser un inventaire forcément incomplet, mais le public de ces États généraux aura en tout cas eu l’occasion de se familiariser avec quelques-uns des acronymes – SDAGE, EPTB, PGRI et autres GEMAPI (*) – que tout gestionnaire français de l’eau se doit aujourd’hui de connaître.

S’il ne fallait retenir qu’un seul et unique message de ces trois journées mégevanes, c’est l’absolue nécessité d’organiser le partage des ressources en eau sur l’intégralité des bassins versants qui relient massifs alpins et régions de plaines, et de "mettre en mouvement ’l’hydro-solidarité’ entre les populations de montagne et les agglomérations de piémont". Mais il ne faut pas non plus se bercer d’illusions, prévient Jean-Marcel Dorioz, de l’Institut national de recherche agronomique : "gérer les interactions ne va pas de soi, cela demande de pratiquer l’art de la conciliation ; il n’y aura pas d’optimisation, il n’y aura que des arbitrages".

Il n’est pas impossible, conclura un autre participant, que la solution vienne de la somme des projets de terrain déjà réalisés, en cours d’exécution ou encore en projet : ce n’est d’ailleurs pas la moindre des ambitions de ces États généraux que d’offrir à bon nombre d’initiatives locales ou régionales l’occasion de se révéler et d’en susciter d’autres. Rendez-vous est d’ores et déjà pris pour 2018.

Bernard Weissbrodt


 Site web des États généraux de l’eau en montagne

 Voir aussi dans aqueduc.info, à propos du même événement : l’article Eau des montagnards : initiatives et solutions (octobre 2014) et l’éditorial Petit essai de stratégies comparées (octobre 2014)

 États généraux de l’eau en montagne 2010 :

(*) SDAGE : schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux ; EPTB : établissement public territorial de bassin ; PGRI : plan de gestion des risques d’inondation ; GEMAPI : gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations.




Infos complémentaires


:: Bref historique des États généraux de l’eau en montagne


2002
Premier congrès consacré à "L’eau en Montagne et ses hauts bassins versants", initié à Megève dans le cadre de l’Année internationale de la montagne. "Les montagnards parlent aux montagnards" et prônent la mise en œuvre d’une politique de gestion intégrée à l’échelle des bassins versants.

2006
Le congrès, organisé avec la collaboration du Réseau européen des organismes de bassin, s’ouvre à la présentation de projets concrets de gestion intégrée dans 33 pays, en particulier avec des régions de l’arc alpin.

2010
Le congrès adopte son format actuel d’États généraux de l’eau en montagne et s’interroge sur les défis de la gouvernance de l’eau face aux changements climatiques. L’idée est lancée de créer un observatoire permanent de l’eau en montagne (voir ci-dessous).

2014
Les organisateurs de la 4e édition du congrès se donnent pour ambition d’affirmer la nécessité de placer l’eau au centre des projets de territoires, dans une perspective d’adaptation aux changements globaux. L’idée est lancée de créer, dès que possible, un "Réseau permanent des acteurs de l’eau en montagne" (voir ci-dessous).


L’Observatoire de l’eau en montagne

Créé à la suite des États généraux de 2010, ce projet rassemble des scientifiques, des élus et des gestionnaires de l’eau autour du rôle fondamental des massifs pour la préservation de la ressource dans un contexte de changements climatiques.

Il encourage l’innovation et l’action sur des sites d’application autour de trois thématiques principales : le partage de la ressource en eau ; la préservation des zones humides, torrents et lacs de montagne ; l’évolution des masses d’eau et des risques en montagne.

 Site web : observatoire-eau-montagne.org


Vers un Réseau permanent des acteurs de l’eau en montagne

Cette proposition, avalisée lors du congrès d’octobre 2014, vise d’abord à pérenniser les travaux des États généraux entre les sessions quadriennales et à favoriser de façon continue l’échange de données et d’expériences. Il devrait être constitué sur une base volontaire et ouverte à tous les acteurs de l’eau de l’arc alpin, non seulement aux chercheurs, élus et gestionnaires, mais également aux techniciens, entrepreneurs, acteurs économiques, etc.

Ce réseau devrait appuyer toutes sortes de projets opérationnels notamment dans des domaines comme l’expérimentation d’appareils de mesures, les actions foncières, l’accompagnement de jeunes entrepreneurs ou la formation de gestionnaires de réseaux et de domaines.

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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