" Se tenant, au propre et au figuré, sur la ligne de partage des eaux, les eaux vues et les eaux rêvées, les eaux d’ici et les eaux d’ailleurs, les eaux de surface et les eaux profondes, il (Charles L’Eplattenier) réalise l’union ou l’équilibre des expériences et des spectacles, qui fonde l’idée même de l’imagination matérielle, telle que l’a formulée Bachelard.
"On rêve avant de contempler. Avant d’être un spectacle conscient, tout paysage est une expérience onirique. On ne regarde avec une passion esthétique que les paysages que l’on a d’abord vus en rêve" (Gaston Bachelard, L’eau et les rêves).
L’une des images de l’eau récurrente dans l’œuvre de L’Eplattenier est celle du miroir - celui des mares, des marais, des emposieux, ou des bassins du Doubs - non pas tant le miroir que la nature tend à Narcisse, que celui du monde, dans lequel elle se reflète.
"Le lac est le grand œil tranquille. Le lac prend toute la lumière et en fait un monde. Par lui, déjà, le monde est contemplé, le monde est représenté (…) L’œil véritable de la terre, c’est l’eau. Dans nos yeux, c’est l’eau qui rêve." (Bachelard, ibidem)
Il y a, dans ce narcissisme cosmique de l’Eplattenier, un écho certain du parallélisme hodlerien, mais aussi cette métaphore récurrente de la peinture, comme reflet et donc représentation du monde.
D’autres images, plus profondes peut-être, hantent les tableaux du maître ; l’eau bloquée, réduite au silence, figée dans son écoulement, dans sa liquidité, comme le magnifique Saut du Doubs en hiver, de 1914 ; du Saut encore, les eaux dynamiques, violentes, écumantes, masculines ; l’eau virginale et pure de la Jeune fille au bain ; et cette mince coulée d’ombre, cette faille humide entre les masses puissantes des roches, le Doubs toujours, comme un vertige, comme une mémoire ou une promesse, comme l’une des sources probables, assurément, de cette ligne ondoyante de l’Art nouveau, dont L’Eplattenier fut l’initiateur à l’Êcole d’Art de La Chaux-de-Fonds.
Il y a enfin ce bateau vide sur la grève, au pied d’une grotte, signe rouge dont l’ambivalence est manifeste : présence invisible mais désirante de l’artiste en dieu Pan - L’Eplattenier portait le bouc - ou prémonition sanglante du voyage arrivé à son terme, dans la chute. "