Givors, au confluent du Rhône et du Gier, à mi-chemin entre Lyon et Saint-Étienne. Jadis renommée pour son industrie métallurgique, cette ville de quelque 20’000 habitants a, non sans révoltes ouvrières, peu à peu perdu ce qui faisait sa fierté. Ses usines se sont fermées et le chômage s’est installé de façon durable dans la cité.
C’est là, pourtant, qu’a pris forme il y a vingt ans une association qui au fil du temps a développé une remarquable compétence. "La Maison du fleuve Rhône" est aujourd’hui largement reconnue pour la qualité de ses médiations scientifiques et culturelles et pour ses initiatives en tous genres visant à faire connaître et mettre en valeur le patrimoine fluvial rhodanien. À cela s’est ajoutée, récemment, une collaboration avec le Centre hospitalier de Givors.
Un projet au long cours
Pour Cécile Leoen, médiatrice culturelle et initiatrice de ce "projet au long cours", il existe de nombreuses passerelles, visibles et invisibles, entre le fleuve et l’hôpital, et - poussant plus loin la métaphore - entre leurs lits respectifs. Tous deux partagent des symboliques de vie et de détresse, tous deux offrent des espaces de rencontres improbables, tous deux proposent des traversées à risques.
Inventer dans un établissement de santé et autour de la mémoire du fleuve un face-à-face entre ces deux pôles n’allait pas de soi : il fallait à la fois tenir compte de la diversité des traitements et des durées d’hospitalisation - de la maternité à la gériatrie en passant par le service des urgences et ceux de rééducation - et de la difficulté de toucher en même temps le personnel soignant sur son lieu de travail.
Durant plusieurs semaines, accompagnée d’une autre médiatrice, Cécile Leoen s’est mise à arpenter salles et couloirs de l’hôpital avec une valise comme signe tangible du voyage immobile auquel elle invitait tout un chacun. Ce voyage, lit-on dans le carnet-souvenir qui en garde la trace, "a permis de délier les fils d’une mémoire, forcément sélective, mais si riche de souvenirs, d’histoires personnelles, d’émotions nourries d’une vie à côtoyer le fleuve Rhône".
Pour parler du fleuve et de soi
Ce projet de "Fleuve buissonnier" s’est alors construit sur un itinéraire de quatre escales - plonger, jaillir, naviguer, affluer - comme autant d’épisodes successifs de l’état amoureux : la rencontre, le sentiment amoureux, la complicité, la rupture, sans oublier le nouveau départ. Avec, comme fil rouge, le conte. Étant entendu qu’il ne s’agissait pas seulement d’écouter les histoires du fleuve, mais aussi de parler de soi et de sa propre relation avec lui.
Pour libérer l’imaginaire des uns et des autres, il est alors fait appel à différents modes d’expression. Lors de la deuxième escale par exemple, chacun se voit poser une question : "Quelle est votre source ?", libre à lui ensuite de noter sa réponse sur un galet récolté dans le Rhône. "Certains ont vu dans ce questionnement leur lieu de naissance, d’autres le lieu où ils vivent, d’autres encore une étape importante de leur vie …" La plus longue des escales, la troisième, qui dura une dizaine de jours, prit des allures de chasse aux souvenirs. "Chaque personne rencontrée a été invitée à choisir, dans une série de 20 cartes postales représentant différents visages du fleuve, le visuel le plus évocateur pour elle." Et, sur le dos de la carte choisie, à inscrire ensuite un souvenir personnel lié au fleuve.
De l’une à l’autre, entre "Toute mon enfance, le Rhône m’a bercé au fil des saisons. J’y ai mes racines, il garde mes souvenirs" et "Je n’allais pas au bord du Rhône, j’ai toujours eu peur de l’eau", on redécouvre côte à côte les ambivalences de l’élément eau et du fleuve, ses inondations et ses étiages, la solitude du pêcheur et la liesse des joutes populaires, le souvenir des joyeuses baignades de l’enfance et celui des ponts détruits durant la guerre, et tant d’autres encore.
Des séances de lecture de textes recueillis au gré des escales et une exposition des galets et cartes postales patiemment collectés ont mis un point d’orgue à ce voyage imaginaire de plusieurs mois. Mais l’idée de ce partenariat original ne s’est pas pour autant arrêté. La Maison du fleuve Rhône et le Centre hospitalier de Givors se sont par la suite attelés à deux autres projets autour du fleuve : "Joutons ensemble", l’an passé, puis "Correspondances", qui a pris fin en novembre dernier.
Bernard Weissbrodt
– En savoir plus sur cette réalisation, consulter un aperçu de l’ouvrage qui lui est lié et/ou en passer commande sur le site de la Maison du fleuve Rhône