Le Gouvernement jurassien veut procéder par étapes. Dans un premier temps, il s’agit de définir dans une loi cadre les principes et règles généraux applicables à toutes les lois concernant le domaine de l’eau. En suite de quoi des lois spécifiques seront édictées concernant la protection et l’utilisation des eaux, ainsi que la gestion des eaux de surface. La loi cadre qui vient d’être mise en consultation jusqu’à fin février 2007, tente de répondre à des questions-clés : qui gère les eaux ? qui en est propriétaire ? qu’entend-on par gestion des eaux ? comment la planifier, comment l’organiser, comment la financer ?
L’eau, bien public
Le ton est donné dès l’article premier : « L’eau est un bien commun. L’approvisionnement en eau, l’assainissement et la gestion des eaux de surface sont en mains publiques. » Il s’agit là d’un signal politique fort et sans aucune ambiguïté en faveur d’un équilibre entre intérêts économiques et conditions sociales et environnementales. Un objectif, selon les experts jurassiens, que seuls les pouvoirs publics sont réellement en mesure de garantir.
Cela dit, rien n’empêchera les communes de confier certaines tâches techniques à des entreprises privées, mais les collectivités publiques, propriétaires des installations, resteront toujours maîtresses de toutes les décisions, qu’il s’agisse d’exploitation de réseaux, de politique de prix, etc.
La loi cadre prévoit par ailleurs une gestion des eaux répondant aux principes de la gestion intégrée (tenant compte simultanément des actions de protection et d’utilisation des eaux) et du développement durable (environnemental, économique et social). Elle sera organisée par bassins versants (Birse, Doubs et Allaine), car les entités communales, trop petites et trop nombreuses, ne paraissent guère adaptées à ce type de gestion intégrée.
Création d’un fonds cantonal des eaux
Mettre en place une gestion globale et durable des eaux implique une augmentation substantielle des moyens financiers destinés à l’amélioration des infrastructures du domaine de l’eau. Vu la forte décentralisation du Canton (actuellement 83 communes pour moins de 70’000 habitants), l’administration cantonale veut jouer son rôle dans l’incitation et la coordination des actions des collectivités publiques elles-mêmes souvent dépourvues de moyens à la hauteur des tâches.
C’est que les infrastructures d’eau potable et d’eaux usées sont globalement en assez mauvais état. Rien d’étonnant à cela quand on sait qu’elles sont vieilles de près d’une centaine d’années et que les pertes dues aux fuites sont de 30-40% en moyenne. Le renouvellement des réseaux – sans doute l’un des grands chantiers communaux de ces prochaines décennies - coûtera cher et dans les conditions actuelles son financement n’est pas du tout assuré.
Les besoins financiers pour les eaux du Canton du Jura en termes d’investissements (sans parler des frais d’exploitation et d’entretien de base) sont estimés à environ 17 millions de francs par an, soit 9 millions pour l’eau potable, 6 pour l’assainissement et 2.5 pour les cours d’eau, ce qui correspond à 250 francs par habitant et par an.
Jusqu’à présent, environ 40 % de ces coûts étaient supportés par la Confédération et le canton par le biais de subventions. Suite aux décisions de désengagement de l’État fédéral, le Jura doit aujourd’hui inventer un système de financement qui intègre le principe de causalité (pollueur-payeur) et la règle de solidarité intercommunale.
Des modèles existent déjà dans plusieurs cantons. Le Jura opte quant à lui pour un fonds mixte, alimenté à la fois par le budget principal de l’Etat et par les usagers via une redevance sur l’eau consommée. Les rédacteurs du projet expliquent que c’est là une manière équilibrée et cohérente de reconnaître « d’une part la valeur marchande des activités d’approvisionnement en eau et d’assainissement, et d’autre part la valeur collective des cours d’eau en tant que patrimoine naturel commun à tous et indivisible ».
Cette nouvelle redevance, qui ne dépassera pas un franc par mètre cube d’eau consommée, a été fixée au départ à 40 centimes. Le fonds redistribuera chaque année environ 6 millions de francs aux communes et syndicats intercommunaux, en fonction des priorités définies dans le futur plan sectoriel.
Centime de solidarité pour l’eau
La redevance cantonale comprend également un centime prélevé à des fins de coopération internationale dans le domaine de l’eau. L’idée du « centime de l’eau » n’est certes pas tout à fait nouvelle, elle est déjà pratiquée par plusieurs collectivités européennes. L’an dernier, la Direction du développement et de la coopération (DDC) et la Société Suisse de l’Industrie, du Gaz et de l’Eau (SSIGE) avaient soutenu le principe de ce pourcentage de solidarité pour l’eau comme une contribution possible des communes et des services des eaux à l’amélioration de l’accès à l’eau des populations pauvres.
L’idée fait ici et là son chemin. Quelques communes de Suisse, notamment au Tessin, l’ont d’ores et déjà inscrite dans leur programme. Le Jura fait un pas de plus en la mettant, pour la première fois, à l’agenda d’un projet cantonal. Concrètement, ce prélèvement d’un centime pour mille litres d’eau potable devrait représenter grosso modo 2 francs par année et par ménage. Cette contribution de solidarité, d’un budget annuel total de quelque 80’000 francs, permettra au Canton du Jura de financer des projets d’adduction d’eau et d’installations d’assainissement dans des pays en développement. (bw)