Convergences communautaires
C’est à un chercheur français du CNRS, Bernard Barraqué, que les organisateurs du Colloque avaient fait appel pour la conférence inaugurale dans la salle du Grand Conseil valaisan, et qui, d’emblée, replaça les bisses dans un contexte européen caractérisé par des régimes juridiques fort divers, s’inspirant les uns du droit romain, les autres de coutumes germaniques, prônant qui le centralisme étatique, qui les pratiques subsidiaires.
Mais au-delà de ces différences, souligne l’expert des politiques publiques d’environnement, “les régimes juridiques européens semblent se rapprocher dans l’importance redonnée à la notion de patrimoine commun”. Ici et là on s’efforce de mettre en œuvre des gestions participatives de l’eau, dans les espaces de montagne, mais aussi dans les communautés d’irrigants dans les régions semi-arides du Sud de l’Europe ou de drainages des plaines du Nord. À propos du château d’eau qu’est la Suisse, Bernard Barraqué s’étonne que l’on y parle davantage de droits de propriété que de ressource commune : “c’est peut-être à cause du poids pris par l’hydroélectricité et du besoin de concessions de longue durée qui font croire à une possession de l’eau”. Le fédéralisme explique peut-être aussi que l’on y ait moins besoin d’institutions de bassins qu’en France.
Le modèle des wateringues
Si les Valaisans savent ce qu’est un consortage de bisses, rares sont sans doute ceux qui, un jour, ont entendu parler de ’wateringues’ quand bien même nombre de touristes néerlandais transitent par ce canton. Et ça paraît une gageure que de vouloir chercher quelque ressemblance entre des montagnards qui vont chercher leur eau au plus proche des glaciers et des habitants de plats pays qui vivent en dessous du niveau de la mer et qui n’ont de cesse que de lutter contre les eaux salées qui les envahissent. À entendre Stefan Kuks, professeur à l’Université de Twente, on se dit pourtant qu’il vaut la peine de s’y intéresser de plus près.
Dès le 13e siècle, c’est-à-dire au moment où en Valais on commence plus ou moins à se préoccuper du manque d’eau pour les activités agricoles, de petits propriétaires néerlandais prennent des initiatives pour protéger ensemble leurs terres, les drainer et construire des digues. Jadis très autonomes, ces entités basées sur le principe du partage d’intérêts ont cependant connu une période de centralisme à l’époque de la tutelle française avant de retrouver un statut constitutionnel de collectivité locale et un système administratif et fiscal relativement complexe.
Au cours des dernières décennies, les 26 wateringues qui quadrillent les Pays-Bas ont dû relever de nouveaux défis : celui de la qualité de l’eau qui les a amenées à gérer également le traitement de l’eau, celui d’une meilleure gestion des écosystèmes et celui, aujourd’hui, de l’adaptation aux changements climatiques. Il ne suffit plus, par exemple, de drainer l’eau vers la mer, il faut aussi se préoccuper désormais d’en constituer des réserves.
Consortages et politiques publiques de l’eau
Consortages valaisans de bisses, associations syndicales françaises de canaux d’irrigation, wateringues belges ou néerlandaises, communautés espagnoles d’irrigants et autres ne sont pas de simples reliques du passé. C’est l’avis en tout cas de Christian Bréthaut et Stéphane Nahrath, de l’Institut universitaire Kurt Bösch, à Bramois, pour qui ces institutions de gestion communautaire de l’eau, “loin d’être condamnées à végéter, voire à disparaître inexorablement suite à l’intervention croissante de l’Etat et de ses politiques publiques de gestion de l’eau (…) ont non seulement survécu, mais ont même réussi à conserver, voire même dans certains cas à renforcer, leur rôle dans la gestion de l’eau”.
À partir d’une étude de cas dans la région de Crans-Montana, les deux chercheurs concluent que, dans le cas des bisses valaisans, les consortages peuvent jouer parfois un rôle-clef quand il s’agit, sur un plan local, de mettre en œuvre des politiques de gestion de l’eau et de ses différents usages. Ces entités fonctionnent en effet comme des relais, voire des instances de médiation, entre les administrations publiques et les usagers. Elles se présentent alors comme un lieu de concertation démocratique entre payeurs, décideurs et bénéficiaires des accords passés entre partenaires. (bw)