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16 mars 2011.

Gérer l’eau des villes. À Lausanne, par exemple

Les organisateurs de la Journée mondiale de l’eau, traditionnellement

Les organisateurs de la Journée mondiale de l’eau, traditionnellement fixée au 22 mars, ont choisi de la placer cette année sous le label : « L’eau pour les villes - Répondre au défi urbain ». À quoi précisément ressemble, dans les villes suisses, la gestion d’un réseau de distribution ? Rencontre avec Henri Burnier, chef de ‘eauservice’, le service des eaux de la Ville de Lausanne.

“Disons que les distributeurs d’eau, en Suisse, n’ont pas trop de soucis ces temps-ci. On a connu une forte expansion jusqu’à la fin des années 1980, puis une assez longue période de décroissance qui a vu l’eau des ménages passer de 200 à 160 litres par jour et par habitant. Cela s’explique notamment par une prise de conscience écologique du grand public qui a pu commencer à utiliser des lave-linge et lave-vaisselle plus économes en eau. D’autre part, un certain nombre d’industries qui consommaient beaucoup d’eau ont été fermées ou délocalisées.

Depuis 2008, on voit que la demande en eau est à nouveau en augmentation dans les villes du fait de leur croissance démographique. Mais comme l’eau est largement disponible (Lausanne par exemple prélève en moyenne annuelle 60 % de son eau dans le Lac Léman, voire jusqu’à 80 % dans les étés les plus chauds), que l’on dispose de bonnes réserves de capacités, et qu’il n’y a pas vraiment de trop gros problèmes de pollution car les services d’assainissement font bien leur travail, on aborde cette phase de croissance sans trop d’inquiétudes.”

 Les défis de l’eau en Suisse, c’est, dit-on souvent, en termes de qualité qu’ils se posent, davantage qu’en termes de quantité.

“C’est effectivement le cas à Lausanne où certaines installations ne répondent plus tellement aux normes. L’une de nos deux usines de potabilisation, celle de Saint-Sulpice, arrive en bout de course après une quarantaine d’années de service. Elle est quelque peu obsolète quant à ses techniques de traitement, surtout lorsqu’il s’agit de prendre en compte des paramètres de plus en plus nombreux et exigeants.

Il y a une dizaine d’années, on ne parlait pas beaucoup de micropolluants, maintenant c’est le grand sujet d’actualité. On peut penser qu’à terme la situation pourrait s’aggraver dans le Léman : il faut être prêt à y répondre avec des installations et des processus de traitement de plus en plus sophistiqués.

Un autre défi, à Lausanne, c’est l’adaptation des réseaux de distribution d’eau aux nouveaux moyens de transport. La ville prévoit de se doter de tramways et ne veut pas de canalisations sous leurs voies. Il faudra donc déplacer toutes les conduites, même celles qui sont encore en bon état, et planifier de gros et coûteux travaux. On a déjà un peu d’expérience en la matière avec la construction du métro durant les années passées, mais là c’était plus simple, car ça se passait en profondeur, sauf dans le secteur des stations où il fallait modifier le tracé des canalisations. Les chantiers nécessitaient bon nombre de coupures d’eau et il fallait sans cesse veiller à ce que d’une manière ou d’une autre tous les réservoirs soient alimentés et que tous les clients aient normalement accès à l’eau.”

  ‘eauservice’ est responsable de l’alimentation en eau potable non seulement en ville de Lausanne, mais aussi dans plusieurs communes avoisinantes. À quelles conditions ?

“La distribution d’eau en ville de Lausanne représente à peu près la moitié du chiffre d’affaires du service. À cela s’ajoutent, pour 40 %, 16 communes où nous sommes concessionnés : en clair, nous avons racheté leurs réseaux et nous y appliquons les mêmes règlements que ceux de la ville, les mêmes tarifs et les mêmes conditions de raccordement.

Les 10% restants sont des communes (72 actuellement) qui possèdent leur propre réseau mais auxquelles nous jouons en quelque sorte le rôle de ‘grossiste’ : nous vendons de l’eau de manière régulière à celles qui n’en ont que trop peu ou pas du tout, et de façon ponctuelle à celles qui en manquent durant les périodes les plus sèches de l’année.”


 Avec quelles conséquences en matière de tarification et de facturation ?

“Avec ces communes où l’eau est distribuée ‘en gros’, on a décidé de faire un peu comme les électriciens en comptabilisant séparément les différentes prestations, entre autres la production d’eau potable (potabilisation), le pompage (qui varie selon que les communes sont proches du lac ou sises dans les hauteurs, et dont le prix dépend de la quantité d’énergie électrique utilisée), le coût des conduites d’amenée d’eau, le stockage (si elles n’ont pas leur propre réservoir), les frais de contrôle de la qualité de l’eau et les frais administratifs.

C’est un système de tarification un peu compliqué, mais il a l’avantage de la transparence. Il affiche clairement les coûts des différents services et attire l’attention des autorités communales sur la nécessité de mutualiser les équipements, par exemple de construire ensemble un réservoir partagé par plusieurs collectivités.”

 Quelle est, tous comptes faits, la particularité du service des eaux de Lausanne si on le compare à un autre syndicat intercommunal ?

“Je dirais que c’est la gouvernance. Nous dépendons totalement du conseil communal (législatif) et de la municipalité (exécutif) de la Ville de Lausanne qui ont le pouvoir de décision en matière d’investissements. Dans la pratique, c’est même plus souple qu’une intercommunale du fait qu’il n’y a qu’un seul législatif et qu’un seul exécutif. Toutefois il est vrai que les autres communes bénéficiaires du service abandonnent leur autonomie dans ce secteur-là. Elles peuvent avoir parfois une impression de déficit démocratique et les tarifs pratiqués ne sont pas toujours compris, mais, techniquement, on peut dire que ça fonctionne bien.

Il faut dire aussi que la municipalité de Lausanne, à majorité rose-rouge-verte, est très attachée au service public. Elle a adopté une déclaration officielle dans laquelle elle affirme noir sur blanc qu’il n’est pas question pour elle de privatiser le service de l’eau ou de le déléguer à un opérateur privé. Cette prise de position n’est pas sans conséquence sur l’image que la ville donne d’elle-même à ses partenaires : les communes voisines, par-delà leur sentiment de ne pas avoir directement droit au chapitre, ont la garantie d’un parlement et d’un exécutif élus démocratiquement pour contrôler un service qui restera toujours public.”

 Il y a deux ans, lors du dernier Forum mondial de l’eau, Lausanne a signé le Pacte d’Istanbul qui appelle les autorités locales à s’impliquer dans une meilleure gestion des ressources en eau. Quel est le suivi de cet engagement ?

“Dans cet engagement, il y avait deux volets. Le premier visait l’utilisation rationnelle de l’eau, les économies d’eau, la lutte contre les fuites, etc. selon une approche assez tiers-mondiste des pénuries d’eau. Sous cet angle, vu qu’ici on n’a pas de trop gros problèmes d’approvisionnement ni de gaspillage ni de vieillissement des réseaux, on répondait de facto à la quasi-totalité des demandes.

L’autre volet portait sur l’aide que des services publics d’eau peuvent apporter à leurs homologues des pays moins bien dotés, en particulier les pays du Sud. Depuis deux ans, Lausanne a concrètement développé un projet de coopération avec la ville de Nouakchott, capitale de la Mauritanie. Une motion politique du conseil communal a demandé à la Ville de Lausanne que chaque mètre cube vendu génère un centime dans un nouveau fonds de solidarité, ce qui correspond chaque année à quelque 120’000 francs suisses (soit près de 100’000 euros), un montant qui entre temps s’est accru de 60’000 francs environ grâce à l’implication dans ce projet de plusieurs autres communes de Suisse romande.

Cela s’est traduit dans un premier temps par la fourniture de camions-citernes, car il y a des quartiers de Nouakchott qui dépendent totalement de ces véhicules pour leur alimentation en eau, vu qu’ils ne sont toujours pas raccordés au moindre réseau. Les camionneurs privés, qui ne vendent leur eau qu’aux plus offrants, ne vont donc pas dans les quartiers pauvres.

Il nous est apparu que la ville de Nouakchott devait en priorité disposer de ses propres véhicules de service public. Deux camions-citernes ont déjà été livrés (ainsi qu’un camion pour l’assainissement), un troisième est prévu pour bientôt. On a également participé à la réhabilitation de petits châteaux d’eau alimentés par ces camions et posé un bon kilomètre de canalisations. En septembre, le projet entrera dans une deuxième phase : il s’agira d’œuvrer à la pose de conduites et à l’agrandissement du réseau d’eau. Je crois beaucoup, personnellement, à l’efficacité de ce type de coopération entre collègues de services publics.”

Propos recueillis
par Bernard Weissbrodt

Photos © eauservice Lausanne




Infos complémentaires

Les usines de potabilisation d’eau doivent prendre en compte des paramètres de plus en plus nombreux et exigeants

:: Lausanne :
‘eauservice’
en quelques chiffres

 135 collaborateurs et collaboratrices travaillent dans 5 unités opérationnelles (clients et Ressources, production, distribution, études et constructions, contrôle de l’eau) et différentes unités administratives
 L’approvisionnement en eau est assuré à partir de 120 sources (25%), de 2 usines de potabilisation (60%) sur les rives du Léman, et d’une usine de filtration sur le lac de Bret (15 %) à moyenne altitude, soit une production annuelle d’environ 33 milliards de litres
 Le réseau de distribution compte quelque 900 km de conduites et 23 réservoirs-stations de pompage d’une capacité totale de 154’000 m3.


  ‘eauservice’ Lausanne alimente actuellement 17 communes au détail et 72 autres en gros en fonction de leurs propres ressources en eau
 20’000 analyses chimiques et 10’000 analyses microbiologiques sont menées chaque année par le laboratoire d’’eauservice’
 Le prix de l’eau potable à Lausanne et dans les 16 communes alimentées au détail dépend à la fois du volume d’eau consommée (1,95 franc par mètre cube) et d’une taxe de débit de 63 francs par an et par m3/heure. Ce qui, pour une maison occupée par quatre personnes, correspond à environ 50 centimes par personne et par jour.

 En savoir plus
sur le site de
‘eauservice’ Lausanne

 Voir la carte des communes alimentées par ‘eauservice’ (document pdf)


:: L’eau
des villes suisses
dans aqueduc.info

 Bâle, Genève et Zürich mettent leur eau en vitrine à Shanghai (1er mai 2010)
 Dossier LA VILLE ET LE RHÔNE (18 novembre 2010)
 Bibliographie : Usages et régulations des eaux urbaines (février 2010)
 Interview de Géraldine Pflieger, L’eau des villes (28 avril 2009)

:: Voir aussi

 Épuration des eaux et micropolluants : essais concluants à Lausanne (20 janvier 2011)


:: La Journée mondiale de l’eau 2011 dans aqueduc.info

 L’eau pour les villes : répondre au défi urbain
 À Amman, la journée de l’eau, c’est une fois par semaine
 “L’eau de poche” des entreprises publiques européennes
 L’eau des villes en Afrique : une affaire de volonté politique

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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