Il faut en effet aller jusqu’aux deux tiers de cette Déclaration ministérielle pour apprendre que les États de la planète reconnaissent « le rôle important que jouent les parlementaires et les autorités locales dans de nombreux pays afin de développer l’accès à l’eau et aux services d’assainissement et d’appuyer la gestion intégrée des ressources en eau ». Une reconnaissance assortie de la conviction que « la collaboration efficace avec et entre ces acteurs constitue un facteur clé si l’on souhaite relever les défis et atteindre les objectifs en matière d’eau ». Ce qui n’est pas franchement une immense découverte. Il y a pas mal de temps déjà que le « penser global, agir local » est à l’agenda de nombreuses institutions et organisations.
La Déclaration de Mexico, c’est, commente brièvement Le Temps dans son édition du 24 mars, « une déclaration sans commune mesure avec l’enjeu des débats ». Jean Fabre, directeur adjoint à Genève du Programme des Nations Unies pour le Développement, explique dans l’interview qui suit ce constat, que « le forum a favorisé la prise de conscience de certains problèmes techniques », mais que « malheureusement, il a confirmé que le sujet ne bénéficie toujours pas de l’attention prioritaire qu’il mérite ». Pour preuve, le fait que « les États se sont fait représenter par des responsables de second ordre ».
Mécontents et satisfaits…
Les différents plaidoyers, sincères ou de circonstance, de certains ténors parmi les professionnels de la distribution de l’eau en faveur de la reconnaissance du droit à l’eau sont donc restés sans suite ni effets sur les délégations gouvernementales. Seule une poignée d’entre elles (Cuba, Venezuela, Uruguay et Bolivie) ont explicitement manifesté leur mécontentement et publié une déclaration séparée dans laquelle elles s’engagent à poursuivre leurs efforts pour que le droit à l’eau soit effectivement reconnu, réaffirment le droit souverain de chaque pays de réglementer tous les usages et les services de l’eau et disent leur préoccupation « quant aux possibles impacts négatifs que des instruments internationaux – tels le libre-échange et les accords d’investissements - peuvent avoir sur les ressources en eau ».
Pas de communiqué final du côté de la délégation suisse emmenée par le sous-directeur de la DDC (Direction du développement et de la coopération). Mais Remo Gautschi, cité par swissinfo, se dit globalement « satisfait » de la déclaration finale et fait observer qu’elle réaffirme dans l’ensemble des positions déjà prises lors des forums précédents : « Bien sûr, nous aurions souhaité un texte qui mette davantage l’accent sur des objectifs concrets, surtout en ce qui concerne l’environnement (…) Mais cette déclaration a permis d’aboutir à un consensus au sein des Etats participants. On ne peut pas toujours obtenir le maximum... »
Convergences entre élus locaux et des défenseurs de l’eau
La « Déclaration des Maires et élus locaux sur l’eau » a montré davantage d’engagement. Non seulement elle rappelle que « tous les êtres humains ont droit à l’accès à l’eau, en quantité et qualité suffisantes pour satisfaire leurs besoins essentiels ». Non seulement elle reconnaît que « les gouvernements locaux jouent un rôle fondamental dans la gestion de la ressource eau et dans l’organisation de services publics de l’eau et de l’assainissement », que « leur rôle doit être reconnu et renforcé » et que « les autorités locales doivent pouvoir choisir librement entre différents modes de gestion ». Mais les Maires et les élus locaux signataires s’engagent aussi à « promouvoir la participation proactive des citoyens à la définition des politiques de l’eau au niveau local, de façon démocratique et inclusive ».
Parallèlement, Mexico a servi de lieu de ralliement à de très nombreuses organisations non gouvernementales, en majorité latino-américaines. Leur « Déclaration commune des mouvements de défense de l’eau » s’inspire très largement des conclusions et de « l’esprit » du Forum social qui s’était réuni en janvier dernier à Caracas. Le credo partagé par ces mouvements est que « la gestion et le contrôle de l’eau doivent être publics, sociaux, coopératifs, participatifs, équitables et sans bénéfice » et qu’il faut absolument rejeter toutes les formes de privatisation de l’eau, « y compris celles d’associations entre le public et le privé qui se sont révélées être un échec complet dans le monde entier ».
Discrets, les adeptes de la privatisation
Les fameux PPP – partenariats publics-privés – étaient pourtant considérés comme l’un des principaux acquis officiels du précédent Forum mondial de l’eau, en 2003 à Kyoto. Ses promoteurs, appuyés par la Banque mondiale, estimaient en effet que c’était la seule solution à même de regrouper les savoir-faire et les financements indispensables à la réalisation des objectifs de l’ONU en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement.
À Mexico, ces certitudes ont paru quelque peu estompées. Les militants de la privatisation se sont montrés plutôt réservés, pour ne pas dire en position défensive. Pour certaines grandes multinationales de la distribution de l’eau, c’est un peu le temps des désillusions : ici et là, faute de résultats convaincants ou sous la pression populaire, elles ont mis fin à leurs projets et à leurs contrats. Elles évoquent désormais la privatisation comme « une option parmi d’autres ». Mais, commente Pepo Hofstetter, délégué d’Alliance Sud, la communauté de travail des organisations privées suisses pour le développement, il serait prématuré de considérer cela comme une véritable conversion : « une politique qui tenterait de renforcer et d’améliorer la gestion publique de l’eau comme alternative à la privatisation n’est pas en vue ».
Un Forum sans légitimité ?
Si ce 4e Forum mondial de l’eau ne restera pas gravé dans la mémoire de ses participants, ce n’est pas seulement en raison du manque de volonté politique, mais aussi à cause de son caractère particulier. C’ est, selon Pepo Hofstetter, « un mélange étrange de foire industrielle privée, de forum de discussion globale et de conférence internationale assorti d’une réunion ministérielle semi-officielle ».
Ce Forum - faut-il le rappeler ? – résulte de l’initiative du Conseil mondial de l’eau, une plate-forme multilatérale qui s’est en quelque sorte autoproclamée autorité mondiale en matière de gestion des ressources en eau. Même s’il a l’appui explicite de nombreuses organisations spécialisées des Nations Unies, ce rendez-vous triennal ne dispose d’aucun statut officiel au sein de l’ONU.
D’où, pour nombre d’associations militantes et organisations non gouvernementales, la revendication que le prochain Forum mondial de l’eau, prévu à Istanbul en 2009, soit porté par une instance légitime de l’ONU, par des traités spécifiques, voire par une nouvelle agence des Nations Unies pour l’eau. En paraphrasant Clemenceau, cela revient à dire que l’eau est une ressource bien trop importante pour en confier la responsabilité à des poseurs de tuyaux et de robinets.
Bernard Weissbrodt