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20 novembre 2017.

Eau et tourisme :
une quête de bien-être

Échos d’un colloque international et interdisciplinaire - DOSSIER (2)

"C’est près de l’eau que j’ai le mieux compris que la rêverie est un univers en émanation, un souffle odorant qui sort des choses par l’intermédiaire d’un rêveur ...", écrivait Gaston Bachelard dans l’introduction de son célèbre essai sur "L’eau et les rêves". C’était une manière de rappeler que l’eau, irremplaçable et essentielle à toute vie, n’est pas seulement recherchée pour son utilité immédiate, mais aussi pour le bien-être, le plaisir et les émotions qu’elle procure à l’être tout entier. La quête de l’eau, dans des loisirs de proximité comme dans des séjours sur des plages lointaines, dit bien l’importance accordée à la qualité de la vie du corps et de l’esprit. Comprendre un peu mieux ce qui relie l’eau et le tourisme implique donc que l’on s’intéresse de près à ce besoin de littéralement s’immerger dans cette ressource vitale.

Appelée à ouvrir ce chapitre du colloque "Eau et tourisme" [1], Melanie Smith, professeure associée à l’Université métropolitaine de Budapest, a entre autres présenté les conclusions d’une enquête menée dans onze pays des Balkans [2] pour évaluer les niveaux de bien-être de leurs résidents, en savoir plus sur ce qui le favorise et identifier les activités qu’ils apprécient de manière à développer des loisirs et des modes de tourisme appropriés.

La fascination des espaces bleus

Cette recherche a notamment mis en évidence que la majorité des personnes interrogées non seulement privilégiaient la fréquentation des bords de mer davantage que les autres types d’environnements naturels, mais aussi que l’esthétisme des paysages importait plus que les possibles activités récréatives. L’enquête a également révélé que le désir de retourner dans les sites visités découlait surtout de motivations spirituelles et émotionnelles.

Une autre étude menée à l’Université d’Exeter, en Angleterre, permet de mieux appréhender cette fascination pour les espaces bleus : les environnements aquatiques naturels et les séjours balnéaires peuvent effectivement améliorer la santé et le bien-être des humains. L’air marin améliore le sommeil, réduit le stress et encourage les activités physiques. Ce n’est pas par hasard que depuis le 18e siècle les médecins ont recommandé les bains de mer au soleil et qu’aujourd’hui les touristes sont disposés à ouvrir leur portemonnaie pour avoir une chambre "avec vue sur la mer".

À noter aussi cette intéressante remarque faite par Melanie Smith à propos de la fréquentation des spas en Europe centrale et orientale. Jusqu’à l’effondrement du régime communiste, ces centres d’hydrothérapie étaient conçus à la fois comme une récompense pour le travail accompli et comme une sorte d’encouragement des travailleurs à la productivité. Aujourd’hui réinventé, le spa est perçu par la population, y compris chez les jeunes, comme une destination de bien-être et un lieu de détente agréable.

Le renouveau du thermalisme français

"Rares sont les chercheurs, du moins en sciences sociales, à s’intéresser au tourisme thermal", constate Marie-Ève Férérol, docteur en géographie urbaine de l’Université de Clermont-Ferrand II, elle-même originaire d’une ville d’eaux. Pourtant le sujet ne manque pas d’intérêt, d’autant que le thermalisme français connaît aujourd’hui un renouveau révélateur de mutations sociales.

Historiquement, explique la chercheuse auvergnate, le thermalisme a connu en France une succession de hauts et de bas. Son âge d’or remonte à la Belle Époque (fin du 19e et début du 20e s.) et aux Années Folles (après 1918). Pendant trois ou quatre décennies, soins thermaux et divertissements faisaient bon ménage et s’adressaient alors à une clientèle aisée. Après la seconde guerre mondiale, à partir du moment où les soins dans les cures thermales ont été remboursés par la sécurité sociale, le thermalisme mondain s’est effacé devant le thermalisme social. Cette démocratisation entraîna momentanément une forte croissance de la fréquentation des établissements thermaux, mais cette nouvelle clientèle étant moins riche et les règlements limitant la durée des séjours, la période d’euphorie prit fin en 1988.

Vingt ans plus tard le thermalisme français retrouvera des couleurs. Marie-Ève Férérol y voit plusieurs raisons : les stations thermales profitent de la mode du développement durable ; devant les effets secondaires de certains médicaments et les scandales médicaux, se soigner avec les eaux paraît plus inoffensif ; la population bénéficie de plus de temps libre qu’elle consacre entre autres à la recherche d’un mieux-être pour soigner les maux physiques et mentaux d’une société anxiogène ; et les stations thermales offrent l’image de lieux "de pleine santé" où l’on apprend à porter plus d’attention aux soins du corps et aux bons comportements préventifs.

Quand les rives lacustres sont privatisées …

Longtemps focalisés sur le tourisme hivernal, les acteurs publics des régions de montagne ont peu à peu misé dans leur politique de développement touristique sur la promotion des espaces lacustres. Cela se vérifie chaque année : à la belle saison, les grands lacs alpins – Bourget, Annecy, Léman - sont pris d’assaut par les habitants, les excursionnistes et les touristes, qui y déploient toute une gamme de pratiques récréatives plus ou moins sportives.

Des stations thermales qui se tenaient à distance des plans d’eau aux premières villégiatures qui se sont approchées des rives, en passant par l’aménagement de plages et de promenades en front de lac, sans oublier l’essor des loisirs nautiques, l’eau lacustre s’est progressivement imposée comme une ressource touristique connue et reconnue.

Mais, observe Alice Nikolli, doctorante en géographie à l’Université Savoie Mont Blanc, ces lacs sont loin d’être pleinement accessibles à tous et leur promotion au rang d’espace touristique majeur ne va pas de soi. Une part importante du linéaire littoral du lac d’Annecy et du Léman est en effet occupée par des propriétés privées, qui ne respectent pas toujours, voire pas du tout, les servitudes de passage traditionnelles qui théoriquement permettent aux piétons d’accéder aux rives et à l’eau.

Aux restrictions liées aux propriétés privées et aux impératifs de protection de l’environnement s’ajoutent désormais des offres commerciales "les pieds dans l’eau". Ce qui semble le plus inquiéter la chercheuse savoyarde, c’est en effet cette pratique nouvelle qui veut que des établissements hôteliers et gastronomiques, certains campings et certaines structures de location de matériel nautique ont tendance à réserver à leurs seuls clients, de manière plus ou moins hermétique, l’accès aux rives qu’ils occupent et s’en servent comme un argument promotionnel "fondé sur un privilège spatial".

Les tensions sont palpables. Ici et là, mais de façon différenciée d’un lac à un autre, des associations citoyennes se mobilisent de plus en plus visiblement pour un libre accès à ce qu’elles considèrent comme un bien commun et pour le respect des servitudes de libre passage. Bref, pour la reconnaissance d’un véritable "droit au lac". (bw)




Notes

[1Le Colloque "Eau et Tourisme", qui s’est tenu les 9 et 10 novembre 2017 à Sion, Sierre et Montana, était organisé par l’Institut de géographie et durabilité (IGD) de l’Université de Lausanne et l’Institut Tourisme de la HES-SO Valais-Wallis.
* Le livret comprenant le programme et les résumés des communications du colloque peut être téléchargé ici.
* La Lettre aqueduc.info n°127 de novembre 2017 s’est également fait l’écho des principaux thèmes abordés par le colloque et d’un choix de quelques-unes des études présentées.

[2Budapest Metropolitan University, Balkan Wellbeing and Health Tourism Study, Final Report, 2016, 148 pp. Voir >

Infos complémentaires

Voir les autres articles aqueduc.info du dossier "Eau et tourisme" :

  1. Du bon usage de l’eau pour un tourisme durable (interview E.Reynard)
  2. Menaces sur la ressource
  3. Incertitudes climatiques
  4. Patrimoines valaisans
  5. Petit glossaire

 Tous les articles de ce dossier sont rassemblés dans un document PDF (A4, 21 pages). Cliquer sur l’image pour le télécharger.

 Voir aussi la Lettre aqueduc.info n°127 de novembre 2017.

Mots-clés

Glossaire

  • Interconnexion

    Pour assurer la continuité de l’approvisionnement de la population en eau potable de la meilleure qualité possible et en quantité suffisante, un distributeur doit disposer d’une ou plusieurs interconnexions de secours avec un ou plusieurs réseaux de distributeurs voisins. C’est l’une des solutions qui permet de garantir en permanence la sécurité d’une exploitation en cas d’accident ou en période de crise.

Mot d’eau

  • Jamais la même eau

    « Le cours de la rivière qui va jamais ne tarit, et pourtant ce n’est jamais la même eau. L’écume qui flotte sur les eaux dormantes tantôt se dissout, tantôt se reforme, et il n’est d’exemple que longtemps elle ait duré. Pareillement advient-il des hommes et des demeures qui sont en ce monde. » (Kamo no Chōmei, poète japonais, 1155-1216, "Hōjōki")


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