C’est que, au fil des décennies, et compte tenu des développements et d’impératifs nouveaux en tous genres – juridiques et techniques, économiques et financiers, sociaux et environnementaux – le métier de distributeur d’eau, dont on oublie trop souvent qu’il est absolument vital pour tout un chacun, est devenu tellement complexe qu’il impose à ceux qui le pratiquent un constant effort d’attention à de nombreux paramètres particuliers mais aussi une vision la plus large possible des situations qu’ils se doivent de maîtriser. Au cours de cette journée, divers intervenants ont eu ainsi tout loisir de recadrer l’essentiel des questions qui se posent aujourd’hui dans ce domaine. Entre autres :
Préserver les ressources en eau
De toute évidence, les distributeurs d’eau potable prennent grand soin de leurs infrastructures de réseau. Cependant, dans ce contexte, la protection des eaux souterraines fait trop souvent figure de parent pauvre alors que celles-ci représentent la majeure partie de l’eau exploitée en Suisse. Il existe certes des bases légales qui sur le terrain définissent par exemple différentes zones de protection. Mais, insiste Romain Ducommun, du Service de l’environnement du canton de Fribourg, il importe aussi de pratiquer une surveillance régulière de l’ensemble du bassin versant d’une source ou d’un captage de manière à déceler de possibles influences humaines indésirables sur la qualité de l’eau souterraine et à intervenir efficacement dans les cas de pollution accidentels ou chroniques.
Contrôler en permanence
la qualité de l’eau distribuée
Les objectifs de qualité de l’eau potable comme de toute denrée alimentaire sont fixés par la législation fédérale et toute une série de documents qui en précisent aussi les normes techniques à respecter. Cela ne signifie pas pour autant, selon Pierre Bonhôte, chimiste cantonal à Neuchâtel, que ces exigences légales sont exhaustives : un canton, sans déroger au droit fédéral, peut également inciter à poursuivre des objectifs particuliers et chaque distributeur a la possibilité de se fixer des objectifs complémentaires plus exigeants que la norme commune, par exemple en matière de chloration ou d’élimination de micropolluants. Petit rappel légal au passage : "Quiconque distribue de l’eau potable par un système d’approvisionnement est tenu de fournir au moins une fois par an des informations exhaustives sur la qualité de cette eau" (Ordonnance fédérale du 23 novembre 2005).
Sauvegarder la valeur patrimoniale
des infrastructures
En Suisse, on estime à près de 220 milliards de francs la valeur de remplacement des réseaux d’approvisionnement en eau potable et d’évacuation des eaux usées, dont une bonne moitié appartient aux collectivités publiques. Cela signifie qu’il faut chaque année dégager plus de 1,7 milliard de francs pour assurer leur entretien ou leur renouvellement. Ces infrastructures sont encore généralement en bon état, estime Alain Jaccard, président du Comité d’Organisation Infrastructures communales (OIC), mais il met tout de même le doigt sur plusieurs déficits, entre autres : faiblesse des synergies entre les différents domaines, prise de conscience insuffisante au niveau politique du besoin de stratégies à long terme, manque d’offres de formation, absence d’objectifs de performance, difficultés de comparaisons entre les différents modèles de comptabilité utilisés. Autant de raisons qui ont poussé l’OIC à éditer, à l’intention des décideurs politiques et opérationnels dans les communes, un utile "Manuel de gestion des infrastructures".
Maîtriser la gestion financière de l’eau potable
À écouter Bernard Dafflon, professeur émérite de l’Université de Fribourg et spécialiste en économie publique, pratiquer une tarification correcte de l’eau potable est loin d’être un exercice facile. Car, les usages de l’eau étant multiples, il faut d’abord préciser les caractéristiques propres à chaque offre et distinguer ce qui relève du service collectif (comme la réserve de capacité des installations) et ce qui tient du bien marchand (comme la consommation des ménages ou des entreprises). Chaque offre doit être comptabilisée de façon distincte et différenciée. Autrement dit – et c’est ce que prône la SSIGE dans ses recommandations – les distributeurs se doivent de mettre en place une comptabilité de type analytique qui a le grand avantage de "permettre une gestion rigoureusement conforme aux règles économiques, tout en tenant compte des consignes de quantités et de performance". Il y va de la vérité des coûts.
Par-delà ces grands défis peuvent aussi se poser des questions de gouvernance. La Ville du Locle par exemple, avec La Chaux-de-Fonds et Neuchâtel et quelques autres communes partenaires, a confié en 2007 la gestion de ses réseaux d’eau, de gaz et d’électricité à une société anonyme (Viteos) dont tous les actionnaires sont des collectivités publiques. Est-il raisonnable de transmettre sa gestion de l’eau à une entité distincte des structures communales ? Claude Dubois, membre de l’exécutif de la ville, y voit d’abord des avantages. Vu que les communes n’ont plus la taille suffisante ni toutes les compétences ni tous les outils nécessaires à une gestion correcte des réseaux, se fédérer stimule toutes sortes de synergies : harmonisation des règlements, bureaux techniques, laboratoires d’analyses. Plus encore : cette fusion ouvre la voie à des partages d’expériences, de problèmes et de solutions avec les autres secteurs énergétiques. Cela dit, la commune n’a plus la totalité de son destin entre ses mains, elle doit par exemple planifier ses chantiers en concertation avec ses partenaires, ses rythmes d’investissements sont différents, etc. Ce genre de réorganisation implique par conséquent d’inventer de nouvelles méthodes de gestion et donc de disposer d’indicateurs fiables et performants.
Bernard Weissbrodt
Sur le même thème,
voir aussi les articles aqueduc.info :
– "Pour les communes, distribuer de l’eau n’est pas anodin" (18 septembre 2013)
– "Le maintien de la qualité de l’eau potable demande de gros efforts" (21 septembre 2015)