Le premier lac de montagne dont on possède une trace écrite semble être celui du Canigou, non loin de Perpignan. Le roi Pierre d’Aragon aurait eu un jour l’envie d’escalader la montagne emblématique du Roussillon. Et c’est un moine italien, Fra Salimbena, qui dans une de ses chroniques s’est fait l’écho de cette royale ascension dont il est difficile d’évaluer la véracité.
N’empêche. Voici donc Pierre d’Aragon en route avec deux chevaliers. Mais l’orage éclate et ses compagnons fatigués n’avancent plus. Le roi décide alors de continuer seul l’ascension : "Quand il fut au sommet de la montagne, il trouva un étang, il y jeta une pierre ; aussitôt il en sortit un énorme et affreux dragon qui se mit à voler et qui de son souffle obscurcit l’air et couvrit l’espace de ténèbres."
On retrouve là le canevas de légendes panthéistes répandues à cette époque-là dans de nombreuses populations. C’est dans les montagnes que naissent rages et tempêtes, et plus précisément dans les lacs où sommeillent des forces maléfiques qui se réveillent aussitôt qu’on perturbe leur environnement.
Changement de ton et de perspective avec Conrad Gesner quand il raconte comment il a gravi le Fracmont (l’ancien nom du Pilate), aux abords du Lac des Quatre-Cantons et qu’il a découvert le lac, "ou plus exactement le marécage de Pilate, situé au fond d’un étroit vallon".
Là aussi, raconte Michael Jakob, régnait cette croyance en la montagne diabolisée. Si l’on jetait quoi que ce soit dans le lac, on prenait le risque d’inonder la région. Avec Conrad Gesner, on assiste à une sorte de "déconstruction de la légende maléfique", de "libération de la réalité" : le lac n’est rien d’autre qu’un lac.
Plus encore : la montagne est un reflet de la beauté divine, Dieu s’incarne dans la magnificence du monde. Dans la foulée, Conrad Gesner va tenter d’éveiller ses contemporains à la découverte de la nature. Son message novateur mettra tout de même quelques siècles avant d’être vraiment entendu et compris.