En Suisse les gestionnaires de l’eau doivent aujourd’hui faire face à de nouveaux défis posés par le changement climatique, l’évolution de la société et les impératifs écologiques. Ils n’ont pas attendu d’y être confrontés pour élaborer des stratégies et prendre des mesures. Ces efforts doivent être poursuivis, mais où faut-il mettre les priorités et comment s’y préparer ? L’association Agenda 21 pour l’eau [1] a estimé qu’elle était sans doute la mieux placée pour tenter de dresser un état des lieux de ces problématiques. Une synthèse de ses enquêtes et de ses analyses vient d’être publiée par la revue Aqua & Gas [2] d’où il ressort que « beaucoup d’acteurs de la gestion des eaux ont déjà une conscience aiguë de certains des défis qui les attendent dans les décennies à venir mais aussi qu’il apparaît nécessaire de mieux interconnecter l’ensemble des acteurs, de la recherche jusqu’à la pratique, à travers tous les secteurs ».
C’est à l’occasion du dixième anniversaire de l’Agenda 21 pour l’eau que les responsables de cette association ont eu l’idée de dresser cet état des lieux. Les principaux défis auxquels il faudra faire face au cours des 20 à 50 prochaines années dans les différents domaines d’action ont été identifiés par le biais d’une consultation menée auprès de plusieurs dizaines de spécialistes et de professionnels du domaine de l’eau. Ces défis potentiels ont ensuite été discutés dans un atelier réunissant 37 spécialistes qui ont alors mis la priorité sur ceux qui concernaient l’ensemble du territoire national ou plusieurs groupes d’acteurs.
Tous les domaines d’activité de la gestion des eaux sont concernés
Les changements climatiques vont fortement perturber le cycle de l’eau et l’équilibre des milieux aquatiques : multiplication des sécheresses et des périodes de précipitations intenses, réchauffement des eaux, fonte des glaciers, remontée de la limite des chutes de neige. Ces changements affectent déjà quasiment tous les acteurs du secteur de la gestion des eaux, qu’ils se préoccupent d’approvisionnement en eau potable et industrielle, d’agriculture, de protection des ressources, d’énergie hydraulique ou de prévention des dangers naturels.
De ce constat découlent un certain nombre de priorités, entre autres :
– Sécuriser l’approvisionnement en eau
Il va falloir s’adapter à la modification des régimes hydrologiques au fil des mois et à des périodes de sécheresse de plus en plus longues et fréquentes. La faible recharge des nappes phréatiques, par exemple, ne sera pas sans conséquences pour l’approvisionnement en eau potable de bonne qualité et en quantité suffisante. Dans le domaine agricole, les besoins d’irrigation impliqueront de recourir à d’autres ressources en eau et d’exploiter notamment l’eau des lacs et les eaux souterraines, voire des réseaux publics de distribution.– Pérenniser les fonctions écologiques et sociétales des milieux aquatiques
Une grande partie des espèces indigènes de Suisse vivent dans ou à proximité des milieux aquatiques. Nombre d’entre elles ne sont que très partiellement capables de s’adapter à des températures de l’eau plus élevées ou à des changements de débits. Compte tenu des substances polluantes qui se déversent dans ces milieux et se diluent plus difficilement en période de basses eaux, c’est une menace supplémentaire qui pèse sur ces écosystèmes. Dans le même temps, les lacs et cours d’eau seront de plus en plus sollicités par la population humaine en quête de rafraîchissement.Des mesures de protection ou de renaturation ont certes déjà permis de remédier au moins partiellement à certains impacts et dysfonctionnements. Mais, notent les experts dans leur état des lieux, « aucune approche commune, c’est-à-dire intersectorielle, n’a été réellement développée ou imaginée pour permettre aux milieux aquatiques de mieux résister à tous les stress auxquels ils sont et seront exposés (sécheresse, réchauffement de l’eau, etc.), afin qu’ils puissent encore remplir leurs fonctions dans quelques décennies et répondre aux multiples exigences d’une gestion durable des eaux ».
– Améliorer l’exploitation de la force hydraulique
En Suisse, depuis les années 1980, l’augmentation des débits due à la fonte des glaciers a permis de produire davantage d’électricité d’origine hydraulique. Mais cet avantage s’amenuisera au fur et à mesure de la disparition des masses glaciaires au cours des prochaines décennies. Par ailleurs, les variations de débits en cours d’année peuvent générer des surplus ou des manques de production en particulier dans les centrales au fil de l’eau.Le secteur de l’hydroélectricité est actuellement dominé en Suisse par des questions de fond concernant son développement dans le cadre de la redéfinition de la stratégie énergétique nationale, l’exploitation de la force hydraulique selon les normes légales de la protection des eaux (migration piscicole, éclusées et débits résiduels notamment) ainsi que le renouvellement des concessions des grandes centrales hydroélectriques. Il s’agit là d’enjeux d’autant plus importants qu’ils exigent de concilier des intérêts parfois extrêmement divergents entre usagers de l’eau.
– Limiter les risques en cas de crue
En plus du dégel du permafrost (ces terrains d’altitude normalement gelés en permanence) et de la fonte des glaciers, les périodes de fortes précipitations dont la fréquence et l’intensité sont de plus en plus marquées font croître les risques de dangers naturels dans les Alpes et en plaine la probabilité d’inondations dues à la hausse des débits. Ces risques augmentent également du fait du développement continu des infrastructures et de l’étalement urbain.
D’autres thèmes ont été jugés importants tels le maintien de la qualité de l’eau souterraine et des sources, la gestion des conflits lors de l’aménagement des cours d’eau (conflits d’intérêts par exemple entre l’agriculture, les infrastructures routières et ferroviaires, l’urbanisation, l’écologie, etc.), le maintien et le développement des infrastructures liées à l’eau (réseaux de distribution d’eau potable et d’assainissement, systèmes d’irrigation, etc.), la gestion des pollutions issues de l’industrie et de l’artisanat ou encore la numérisation et l’exploitation des données du secteur de l’eau (systèmes de mesure intelligents, contrôles et relevés à distance, etc.).
Le changement climatique est le principal défi
Cet état des lieux met en évidence que la gestion des changements climatiques s’impose désormais comme un sujet de préoccupation prioritaire. Depuis plusieurs années, divers projets et programmes à long terme ont ainsi été lancés tant au niveau fédéral (par le biais principalement du National Centre for Climate Services (NCCS), le réseau de la Confédération dédié aux services climatiques) qu’à celui des cantons, des régions et des groupements divers qui participent au travail d’élaboration des connaissances de base.
Les plans stratégiques et les projets qui ont pu être élaborés au cours des dernières années tiennent déjà largement compte, dans les différents secteurs concernés, des changements climatiques et hydrologiques et des problèmes qui en découlent. Les initiatives qui ont été prises témoignent en tout cas d’une prise de conscience - chez les décideurs, gestionnaires, chercheurs, professionnels et autres acteurs concernés par la gestion des eaux - de ce à quoi ils seront confrontés dans les décennies à venir. Mais l’état des lieux dressé par l’Agenda 21 de l’eau met aussi le doigt sur la nécessité pour eux de s’interconnecter davantage et de mieux partager leurs informations, qu’elles viennent des milieux de la recherche ou des expériences concrètes de terrain, afin de les intégrer dans leurs décisions et leurs travaux actuels ou futurs. (Source : Agenda 21 de l’eau)