Boire de l’eau en bouteilles deviendrait-il, outre-Atlantique, un geste à bannir des habitudes personnelles au même titre que fumer dans des lieux publics ? À voir l’évolution du commerce de l’eau aux États-Unis, on peut raisonnablement en douter. Il y a trente ans, la moyenne de consommation d’eau en bouteille par personne et par année était de 1.6 gallon (6 litres). L’an passé, le compteur affichait 28.3 gallons (107 litres).
La polémique autour de la consommation d’eau en bouteilles a été relancée en mai dernier par l’organisation américaine Worldwatch Institute et un rapport dénonçant le fait que « La boisson qui connaît la plus forte croissance de consommation au monde est une aubaine pour l’industrie, mais une désolation pour l’environnement » (Lire l’article « L’obsession du flacon et son impact écologique »).
San Francisco prend les devants
Le 21 juin, Gavin Newsom, maire de San Francisco, publie une directive dans laquelle il rappelle deux faits : d’abord, la grande cité californienne a de quoi être fière de son rôle historique de leader pour la protection de l’environnement. Depuis des décennies, elle fournit à ses habitants une eau parmi les plus pures et les plus sûres. Ensuite, elle s’est clairement prononcée pour la lutte contre le réchauffement du climat, ce qui implique qu’elle prenne des mesures pour en enrayer les causes.
Or, dit-il, les milliards de bouteilles en plastique utilisées pour le commerce de l’eau nécessitent pour leur fabrication des millions de litres de pétrole, dégagent des quantités invraisemblables de CO2 dans l’atmosphère, finissent leur vie dans des décharges où il leur faudra un millier d’années pour se décomposer et contaminent les eaux souterraines. Sans parler des détournements d’eau des aquifères locaux et des quantités massives de carburant utilisé pour le transport des bouteilles. Tout cela pour un produit dont la qualité est souvent inférieure à l’eau distribuée par le réseau de la ville.
Gavin Newsom en tire une conclusion pratique et quasi sans appel : d’ici la fin de l’année, il sera interdit à toute l’administration de la ville et du comté de disposer de fonds publics pour l’achat de bouteilles d’eau. Les différents services devront remplacer leurs traditionnels distributeurs de boissons par des distributeurs d’eau sans bouteilles directement reliés au réseau public.
“In Praise of Tap Water”
Le 1er août, le New York Times prend le relais avec un éditorial faisant l’éloge de l’eau du robinet : « Alors que ce pays dispose des meilleures réserves d’eau publique dans le monde, les Américains ont de plus en plus soif de ce qu’on leur présente dans leurs magasins comme l’eau la plus saine mais aussi, souvent, la plus chère. Au lieu de consommer chaque année quatre milliards de gallons d’eau en bouteilles individuelles, nous ferions mieux de commencer à réfléchir à l’impact de toutes ces bouteilles sur la santé de la planète. » L’éditorialiste se réjouit certes que les Américains se tournent davantage vers l’eau que vers les boissons sucrées. Mais s’ils se mettent à délaisser l’eau du robinet au profit d’eaux en bouteilles, alors il y a danger, car, à son avis, il y aura de moins en moins d’appuis politiques pour investir dans la gestion de l’eau publique. « Ce serait une perte sérieuse. L’accès à une eau saine et bon marché est essentiel à la santé de la nation. »
La contre-attaque des embouteilleurs
La réaction des professionnels du marché ne tardera pas. Le lendemain, l’Association internationale de l’eau en bouteille (IBWA) annonce le lancement d’une campagne de publicité, y compris dans le New York Times, pour répondre aux critiques erronées et confuses émises par des militants d’ONG et une poignée de maires qui, selon elle, se sont laissés aller à la désinformation.
Certains, peut-on lire dans les deux communiqués publiés par l’IBWA, tentent de mettre en opposition l’eau embouteillée et les réseaux publics d’eau potable. Mais boire de l’eau en bouteilles relève d’abord du choix des consommateurs : « Il n’est pas dans l’intérêt public de mener des actions qui découragent. » Par ailleurs les industriels de l’eau en bouteille réaffirment qu’ils soutiennent et veillent à la sécurité comme à la bonne qualité des ressources d’eau souterraine autant que ne le font les services municipaux : « Nous avons tout intérêt à renforcer, et non pas à endommager les sources municipales. Quant aux ventes d’eau en bouteille, elles n’ont rien à voir avec le financement des infrastructures de distribution ni avec les améliorations des réseaux d’eau potable. »
Les professionnels de l’IBWA se demandent enfin si ceux qui les attaquent ne se trompent pas de cible. Et si le débat portait non pas tant sur l’eau en bouteille que sur l’impact des emballages plastiques sur l’environnement ? L’eau, voire même toutes les boissons en bouteille, ne représentent en effet qu’une petite partie des produits emballés : « Tout effort en vue de réduire les ressources nécessaires à la production et à la distribution de marchandises empaquetées doit porter sur tous les emballages (cela vaut aussi pour la promotion de leur recyclage). Toute autre approche ne ferait que manquer une réelle opportunité de parvenir à une solution globale pour la protection durable de l’environnement. » (bw)
Liens
The Official San Francisco City & County Web Site
The New York Times
International Bottled Water Association (IBWA)