Tout commence en 1999. Claire Rouamba et quelques femmes du village décident de fonder le Groupement féminin Song-Taaba (entraide, dans la langue des Mossis) sur le modèle d’une organisation de type coopératif en milieu rural. Leur objectif prioritaire : obtenir l’installation d’un puits de grand diamètre « afin de diminuer un tant soit peu, par delà la souffrance des femmes, certains maux liés aux pénuries d’eau et à son insalubrité ». Les points d’eau, constitués de quelques marigots et d’un seul puits traditionnel, ne suffisaient pas à l’approvisionnement du village. Et ce n’est pas une vie que de parcourir chaque jour 6 à 7 km pour récupérer 10 à 15 litres d’eau.
Vu le nombre d’obstacles à franchir, créer une association comme celle-là ne va pas sans péripéties. Il fallait commencer par faire comprendre aux femmes, par delà les us et coutumes de la société traditionnelle, qu’elles avaient le droit et le pouvoir de fonder leur propre groupement villageois. Ce qui signifiait une forme de contestation du pouvoir quasi absolu des hommes, par ailleurs peu pressés de s’investir personnellement dans le développement économique et social de la collectivité.
Faire ensuite reconnaître légalement l’association par les autorités n’était pas non plus une mince affaire. Une fois déposés les documents requis par l’administration, les femmes de Songpèlsé ont dû attendre son feu vert durant plus de trois ans ! À leur grand désespoir, vu qu’à chacune de leurs démarches elles ne recevaient que réponses évasives et négatives.
Une fois le Groupement féminin Songtaaba officiellement reconnu, commence alors la longue et patiente démarche qui lui permettra de trouver un financement pour l’aménagement d’un puits ou d’un forage. Les cotisations des femmes (156’000 francs CFA, soit environ 400 francs suisses) n’y suffisent évidemment pas. Plusieurs ONG sont contactées, mais constituer un dossier de projet représente un gros défi quand on n’a pas fait d’études supérieures. Finalement, c’est auprès d’une association suisse, Nouvelle Planète, qu’elles trouvent en 2004 l’appui nécessaire à l’installation d’un forage. Les habitants de Songpèlsé y collaboreront concrètement par toutes sortes de travaux : portage d’eau, de sable, de gravier et autres matériaux de base.
Quand l’eau, le puits et le forage sont là, il faut apprendre à les gérer. Garantir la pérennité de ce précieux bien public est une responsabilité communautaire. Il faut convaincre chaque membre du village d’adopter de nouveaux comportements : comment utiliser les points d’eau, comment veiller à leur propreté, comment s’organiser pour ne pas épuiser la nappe souterraine, comment contribuer aux frais d’entretien des installations, etc. Le forage, pourtant, présente une efficacité limitée. Il faut beaucoup d’énergie (humaine) pour faire tourner la grande roue de la pompe, 300 tours de manivelle à cadence soutenue pour remplir un jerrycan de 24 litres ; en une heure, on extrait péniblement 600 litres alors qu’on pourrait théoriquement en capter cinq fois plus ; l’eau arrive par à coups et il est difficile d’éviter le gaspillage. Restait alors la solution du château d’eau, étape finalement franchie grâce à un don privé.
C’est une association de bénévoles de Suisse romande, Ingénieurs et Architectes Solidaires (IAS), nantie de plusieurs interventions en Afrique de l’Ouest et en Amérique latine, qui a pris sur elle de faire construire un château d’eau d’une dizaine de mètres de hauteur et d’une capacité de 20 mètres cubes, et d’y installer un pompage électrique alimenté par panneaux solaires, système qui a largement fait ses preuves et qui recourt à l’énergie la plus naturelle qui soit en pays sahélien.
Les femmes de Songpèlsé ont désormais de quoi non seulement répondre aux besoins domestiques quotidiens en eau potable, mais aussi de renforcer quelques-unes des activités de revenu (maraîchage, savonnerie, teinture, etc.) qu’elles mènent d’un commun accord avec les femmes de quelques autres villages alentours. Car, entre temps, le groupement féminin Songtaaba a fait école et a donné naissance à une sorte d’organisme faîtier, l’Association Songtaaba des femmes unies et développement (ASFUD).
Elles sont bien conscientes que le château d’eau changera leur vie et qu’elles vont devoir apprendre à gérer autrement la nouvelle installation, en tenant compte notamment des capacités de recharge du château d’eau au rythme du soleil. Un comité de l’eau de trois femmes et trois hommes a été constitué, il devra veiller à la bonne gestion des équipements et à la répartition équitable de la ressource par le biais entre autres d’un système de tarification (10 francs CFA pour 2 jerrycans, c’est-à-dire environ 1 franc suisse le mètre cube). Ce qui devrait permettre de financer à la fois le salaire d’une personne préposée à l’entretien du site et le remplacement des petits matériels sensibles à l’usure tels les robinets, mais également constituer un petit capital d’amortissement pour le jour où il faudra changer la pompe.
Bernard Weissbrodt,
avec Claire Rouamba, présidente de l’ASFUD
– Photos IAS (B.Béroud et P.-A.Steffen)
– Voir l’album photo Histoire d’eau au village de Songpèlsé
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