C’est ce jour-là, explique Khadija Darmame, chercheure à l’institut Français du Proche-Orient et spécialiste de questions de développement social, “que l’on voit le linge étendu sur les balcons, que l’on fait appel aux femmes de ménage, que les jardiniers s’activent, que les gardiens d’immeubles nettoient à grands jets d’eau les voitures, les terrasses et les cages d’escaliers. Une mobilité de la main d’œuvre liée à l’eau se fait de quartier en quartier, structurant une partie de l’économie de la ville.” Une telle journée, qui postule son lot de préparatifs, ne va pas sans inquiétudes : “l’eau arrivera-t-elle au jour prévu pour le quartier ? À quel moment durant la nuit ? La pression sera-t-elle suffisante ?”
Une enquête menée en 2007 a montré que les trois quarts des familles organisaient leur vie et leurs activités en fonction de l’arrivée de l’eau et que l’organisation des tâches ménagères était extrêmement tributaire du rythme d’ouverture des robinets. “La journée de l’eau est la journée internationale du linge sale et du nettoyage du matin au soir”, note un enquêteur. Qui plus est journée de la femme, car c’est elle, précise Khadija Darmame, “qui gère la pénurie d’eau et l’intermittence au sein du ménage. Quand la pression est faible, les femmes veillent afin de s’assurer que le réservoir est bien alimenté. C’est une tâche très contraignante et exténuante, notamment pour celles qui travaillent.”
Comment en est-on arrivé là ? La Jordanie, paradoxalement, dispose d’un réseau de raccordement extrêmement développé, proche d’une couverture totale. Mais ce n’est pas parce qu’il y a un robinet (et un compteur) que l’eau est disponible continuellement. Dès 1987, la Water Authority of Jordan, pour cause de pénurie et de déficit hydrique chronique, a décidé de pratiquer une politique de rationnement et de distribution d’eau par intermittence, une fois par semaine. Cela oblige les familles à stocker l’eau dans des réservoirs installés dans les cours des immeubles, dans les jardins et sur les toits. Mais tout cela coûte cher et réclame de l’entretien, sans parler des risques sanitaires. Pour les ménages à bas revenus, il n’y a souvent pas d’autre issue que de recourir à des moyens de fortune et de capacité réduite, tels des jerricans. Et si l’eau vient à manquer, il faut alors s’en procurer auprès de revendeurs privés et à des prix évidemment plus chers, voire, parfois, acheter de l’eau en bouteilles. De quoi retomber dans cet abominable cercle vicieux : la pauvreté empêche d’avoir accès à l’eau et le manque d’eau aggrave la pauvreté. (bw)
Informations et citations extraites de
– Accéder à l’eau dans un contexte de rationnement de l’offre. Cas de la ville d’Amman en Jordanie, par Khadija Darmame, in Il y a loin de la coupe aux lèvres, Éditions Charles Léopold Mayer. 2010
– Gestion de la rareté de l’eau à Amman : rationnement de l’offre et pratiques des usagers, par Khadija Darmame et Rob B. Potter, in Usages et régulations des eaux urbaines, Revue ‘espaces et sociétés’, N°139 / 4 / 2009